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TESSIER VALENTINE (1892-1981)

Lorsque Jean Renoir entreprit la réalisation de Madame Bovary (1934), il souhaitait théâtraliser le personnage d'Emma, lui ôter sa dimension romanesque pour en accentuer le symbolisme. Seule une comédienne ayant une solide expérience pouvait illustrer son parti pris : il choisit alors pour interprète Valentine Tessier, qui sut parfaitement traduire cet écart entre le théâtre et la réalité. Le nom de la comédienne, que Colette avait surnommée « la toute femme », était alors étroitement associé aux grandes aventures théâtrales du début du siècle.

Née à la fin du xixe siècle, Valentine Tessier découvre sa vocation théâtrale à la lecture de Racine. Passionnée par les textes classiques, elle fréquente un cours d'art dramatique où elle a pour professeur Paul Mounet. Elle passe alors une audition devant Jacques Copeau, qui la fait débuter au Vieux-Colombier dans Les Frères Karamazov. Son interprétation de Grouchenka, où elle allie une force insoupçonnable à une grande vulnérabilité, la révèlent au grand public. Elle va alors incarner tous les rôles de répertoire : la Célimène du Misanthrope et surtout la Périchole, ce personnage que Renoir précisément fit revivre dans Le Carrosse d'or.

Partenaire de Lucien Guitry, Valentine Tessier refuse néanmoins une certaine forme de facilité, pour servir des textes plus classiques. La deuxième étape de sa carrière passe par la Comédie des Champs-Élysées, dirigée par Louis Jouvet. C'est aussi la rencontre avec un auteur, Jean Giraudoux : Siegfried, Intermezzo et surtout Amphitryon, où elle incarne Alcmène – un rôle créé pour elle – avec aisance et ironie.

Bien qu'elle ait interprété quelques rôles au temps du cinéma muet – dans Britannicus de Gabriel Signoret, en 1912 et Un chapeau de paille d'Italie de René Clair – elle préfère cette « liberté du théâtre » au cinéma, dont elle trouve le champ « plus limité ». Renoir lui offre alors ce rôle d'Emma Bovary qui la passionne, car elle trouve ce destin de femme, qui meurt sans avoir ni réellement vécu ni aimé, « étrange et douloureux »... Son interprétation est controversée : les critiques attendaient une Emma alanguie, ils se trouvent en présence d'une comédienne au jeu à la fois outrancier et distant. Ce rôle reste en tout cas un de ses plus marquants au cinéma. Si Jacques Deval la demande ensuite pour Club de femmes (1936), puis Abel Gance pour Jérôme Perseau, elle ne trouvera pas de personnage suffisamment fort pour s'imposer réellement à l'écran. Malgré un joli rôle de bourgeoise libérale dans Abus de confiance d'Henri Decoin (1937), deux participations remarquées dans La Charrette fantôme de Duvivier et Le Lit à colonnes de Roland Tuai, il faudra attendre, pour qu'elle donne sa pleine mesure, Justice est faite d'André Cayatte, en 1950, où elle incarne une femme juré vieillissante, découvrant qu'elle est aimée pour la fonction qu'elle représente. Elle y traduit admirablement la lassitude et la fêlure d'une femme qui n'a plus de droit légitime à l'amour. Elle retrouvera Renoir dans French Cancan (1955), où elle joue une blanchisseuse au verbe haut ; enfin, l'une de ses créations les plus attachantes restera le personnage de la comtesse de Maigret et l'affaire Saint-Fiacre, au côté de Jean Gabin. Sa carrière théâtrale, en revanche, connaît une exceptionnelle longévité. Après guerre, elle n'hésite pas à risquer sa réputation de « grande dame » pour interpréter la créature gourmande de Lucienne et le boucher de Marcel Aymé. Trois très beaux rôles encore dans Chéri d'après Colette, Les Parents terribles de Cocteau, qu'elle reprend en tournée, et la Napolitaine de Edoardo De Filippo, Madame Filoumé.

À la fin des années 1960, on la revoit au théâtre de l'Atelier dans L'Idiot[...]

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