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NOVARINA VALÈRE (1947- )

Mystère de la parole

<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images

L’Acte inconnu, V. Novarina

On identifie chez Novarina quelques figures récurrentes, le tube et le trou, à la fois blessure et orifice, puisqu'il n'est question que d'oralité. Le propos se fait parfois discrètement, abstraitement, politique, comme dans Le Babil des classes dangereuses (1978), où la parole de ceux qu'il s'agit de faire taire finit par tout engloutir. La Lutte des morts (1979) met en scène un gouffre où bouillonnent les langues mortes. Le Drame de la vie offre l'image d'une Création rivalisant avec celle de la Genèse et qui multiplie à l'infini le geste de la nomination. Comme dans la Bible, on compte dans ce débordement généalogique 2 587 personnages aux noms inventés, ou empruntés avec une certaine maniaquerie à l'annuaire. Novarina pratique sans relâche l'énumération, les listes hallucinantes : 1 111 noms d'oiseaux dans le Discours aux animaux ; 1 739 cours d'eaux dans La Chair de l'homme (1995), en écho au psaume CXXXVII, « Sur les rives des fleuves de Babylone, là nous nous assîmes et nous pleurâmes au souvenir de Sion ». Dans cette frénésie de tout dire, on retrouve peut-être l'écho de la poésie encyclopédique du xvie siècle, celle de La Sepmainede Du Bartas. Le titre assez explicite des œuvres qui suivent (L'Opérette imaginaire, 1998 ; Devant la parole, 1999 ; L'Espace furieux, 2006 ; L'Acte inconnu, 2007) dit assez le désir persistant d'un théâtre où la parole deviendrait son propre corps, occupant la scène imaginaire dans la seule puissance de sa jaculation. De l'hyperprésence ainsi constituée, on peut lire dans L'Avant-dernier des hommes (1997) : « Entre l'Acteur fuyant autrui : il dit qu'il désire voir la langue. [...] La langue n'est plus pour lui quelque chose qui relie, puisqu'il est seul mais quelque chose qui est devant lui comme un théâtre de force, comme un champ magnétique ».

Les œuvres de Novarina ont été très tôt portées à la scène, inspirant les metteurs en scène : Marcel Maréchal pour Falstafe(1976), Jean Gilibert pour Le Babil des classes dangereuses (1984), Claude Buchvald pour Le Repas (1996) et, avec Claude Merlin, pour L'Avant-dernier des hommes (1997). Il est arrivé très souvent que l'auteur monte lui-même ses propres textes (Vous qui habitez le temps, 1989 ; Je suis, 1991 ; La Chair de l'homme, 1995 ; Le Jardin de reconnaissance, 1997 ; L'Origine rouge, 2000 ; La Scène, 2003 ; L'Espace furieux, 2006 ; L'Acte inconnu, 2007 ; Le Vrai Sang, 2011 ; L’Atelier volant, 2012). Parmi les comédiens, on retiendra la rencontre sans doute la plus déterminante, celle avec André Marcon, qui met sa voix au service du rythme du Monologue d'Adramelech en 1983 puis du Discours aux animaux en 1986. Il n'est pas jusqu'aux écrits « théoriques », concernant l'art du comédien (Lettre aux acteurs, 1979 ; Pour Louis de Funès, 1986), où Novarina préconise le renoncement aux techniques de déclamation traditionnelle, qui n'aient fait l'objet d'un spectacle.

Le théâtre de Valère Novarina – qui est également peintre et dessinateur – s'inscrit sans doute entre la question d'Adam qui ouvre Le Drame de la vie : « D'où vient qu'on parle ? », et l'ultime proposition du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein, telle que la renverse la Personne creuse du Repas : « Ce dont on ne peut pas parler, c'est cela qu'il faut dire. »

— David LESCOT

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Médias

Valère Novarina - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Valère Novarina

<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images

L’Acte inconnu, V. Novarina

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