VALÉRY PAUL (1871-1945)
La maturité poétique
Sur les instances d'André Gide et de Gaston Gallimard, Valéry relut vers 1912 ses poèmes de jeunesse et entreprit de leur apporter les retouches que lui semblait exiger l'éventualité d'une publication aux jeunes éditions de la N.R.F. D'avoir ainsi renoué avec l'expérience poétique lui donna le désir d'une autre œuvre, qui n'excéderait pas quarante vers et sur quoi s'achèverait, croyait-il, ce retour à la poésie. Ce travail, il advint cependant que, pendant cinq ans – à l'exception probable de 1914 –, il en fit le plus long, le plus longuement travaillé, surtout, de ses poèmes. Il advint également que ce projet ouvrit à sa maturité l'éclat d'une décennie de fécondité poétique qui s'acheva par la successive publication de La Jeune Parque, de l'Album de vers anciens (1920) et de Charmes (1922). On ne saurait trop se garder de croire, cependant, que ces œuvres n'entretinrent aucun lien, ni que le renouveau poétique de 1912-1913 ne se fonda sur rien d'antérieur. Un des points d'origine de La Jeune Parque peut en effet se retrouver dans un sonnet de 1891, « Hélène », et si tels poèmes de l'Album, « Anne » ou « Profusion du soir », furent ébauchés entre 1897 et 1900, l'« Air de Sémiramis » ou « César », qui y furent intégrés plus tard, sont quant à eux contemporains de La Jeune Parque – comme « Heure », ultérieurement publié dans les Pièces diverses, en était originellement un développement possible. Et « Le Cimetière marin » lui-même prit sa toute première naissance en 1916.
Écrite au plus dur de la guerre, et contre son angoisse, La Jeune Parque fut conçue comme un exercice propre à mettre en œuvre bien des recherches théoriques des Cahiers, et à initier en retour d'autres réflexions – mais également comme le tombeau d'une langue qui se travaillerait selon les plus strictes contraintes classiques. Soucieux de considérer la littérature comme une application des propriétés du langage, Valéry cherche non à transporter, mais à susciter l'émotion poétique chez un lecteur dont la fonction est de donner, et selon ses exigences propres, forme vive à l'œuvre élevée par sa voix au rang d'événement, et revêtue d'un sens tout nécessairement singulier. C'est un univers qui se crée, sans acception de réalité extérieure, dans le développement d'une forme sensible. Par l'infini déploiement de ses pièces qui cherchent l'ordre le plus efficace de leur fonctionnement au travers de la reprise des cent brouillons et des quatorze états du texte, La Jeune Parque assure son organisation formelle sans souci de l'antécédence d'une idée qui voudrait prendre corps. Ici, point de sujet qui impose un parcours, mais la multiplicité de fragments qui s'écrivent et se déploient dans l'attention d'une composition maîtresse de leur rejointement, selon la mobilité d'une structure musicalement efficace, et jusqu'à l'émergence finale d'une unité. Si la lecture se délivre assez vite de l'apparence néo-classique d'une progression théâtrale, c'est que Valéry est assurément parvenu – d'une manière qui maintient entièrement les déplacements du Sujet – à en faire cette œuvre en dernière instance ininscriptible, qui ne se donne que par la présence de celui qui la dit et en fait, selon le vœu plus général de Valéry, un poème en acte. Si la voix poétique est bien ce qui distingue une œuvre vive d'une écriture morte, si cette voix est en même temps un signe d'authentique origine – car « le Moi, c'est la voix » –, on ne saurait surestimer la présence visible du Je où s'assure la source du langage – mais source qui se déplace dans le procès de l'œuvre et préserve par là du trop simple recours à la [...]
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Écrit par
- Michel JARRETY : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur d'État, maître de conférences de littérature française à l'université de Toulouse-II
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