VALÉRY PAUL (1871-1945)
Et la lassitude et la gloire
Les alentours de 1920 marquent ainsi chez Valéry une inflexion existentielle dont témoigne également un nouveau statut d'homme de lettres. La publication des grandes œuvres poétiques, qu'accompagne la réédition par Gaston Gallimard, en 1919, de l'Introduction et de La Soirée, dessine à un large public les contours d'une œuvre jusqu'alors presque confidentielle et qui soudain, par effet d'édition, prend sa dimension vraie. Au moment où la mort d'Édouard Lebey, en 1922, le détache de toute astreinte professionnelle, Valéry devient rapidement cet homme de lettres célébré et sans cesse sollicité, dont la réputation trouve un éclat supplémentaire dans l'élection, en 1925, à l'Académie française. Sous l'effet très souvent de la commande – déterminante en toute sa vie –, il se trouve en effet amené à élargir diversement son œuvre par la rédaction d'articles, préfaces ou conférences qui lui sont autant d'occasions de livrer publiquement des réflexions antérieurement mûries, et qui vont informer aussi peu à peu les volumes de Tel quel (1941 et 1943) ou de Mauvaises Pensées et autres (1942). Les nombreuses contributions esthétiques, littéraires, philosophiques ou politiques qui vont successivement se regrouper dans Regards sur le monde actuel (1931), Variété (1924-1944), Pièces sur l'art (1938), Vues (1948) offrent, de leur côté, des pages assez lisses pour que ne s'y laissent guère deviner le caustique ou l'amer tranchant, bien souvent, de comparables pages des Cahiers ou des notes préparatoires, mais assez vives pourtant, et parfois assez négatrices pour qu'ait pu trouver toute son efficace la fonction d'ébranlement, narquoise ou persifleuse, qu'exerça Valéry dans l'univers intellectuel de son époque, fondé sur des valeurs pour lui essentiellement verbales auxquelles il se refuse à accorder cette confiance dont les Cahiers théorisent, sous le nom de Fiducia, les excessives exigences. Car la même défiance à l'égard du langage qui l'a conduit à dénier à la littérature toute fonction de représentation, et à reconnaître à la poésie la puissance créatrice d'un réel sensible où les mots sont les choses – cette même défiance fonde sa remise en cause de ces valeurs qu'il nomme mythiques parce que le seul langage pour lui les constitue. En même temps qu'elle conforte son admiration pour la science, susceptible d'un système rigoureux d'expression, cette conception entraîne, chez Valéry, une sévère critique des philosophes : par l'usage, en effet, qu'ils s'autorisent de mots abstraits dont il reste impossible de proposer une commune définition qui n'ouvre pas à l'imaginaire, ils établissent des raisonnements coupés du monde, s'attachent à des problèmes qu'abolirait l'emploi d'un langage adéquat, et par une écriture dont les ressources sont celles de la littérature, composent d'inavouées œuvres d'art dont la lecture, selon la distinction de Valéry, est plus un excitant qu'un aliment. À la différence, en effet, du savoir toujours vérifiable de la science, dont il se fait une conception clairement opérationaliste – elle est « l'ensemble des recettes et procédés qui réussissent toujours » –, la philosophie se dérobe aux vérifications qui fonderaient son utilité. D'où la sévérité de cette Variation sur une pensée (1923) qui reproche à Pascal de substituer au travail même de la raison celui d'une perfection d'écriture qui vise d'abord à séduire, et entretient le pernicieux de toute métaphysique dans une phrase : « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie », où Valéry voit un poème. D'où, à l'inverse, l'admiration constamment éprouvée pour Descartes, l'inventeur[...]
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Écrit par
- Michel JARRETY : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur d'État, maître de conférences de littérature française à l'université de Toulouse-II
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