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VALEUR, linguistique

On appelle valeur le sens d'une unité linguistique considéré comme le produit des relations que cette unité entretient avec les autres unités du système, et non pas comme un contenu intrinsèque. C'est Ferdinand de Saussure qui a le premier utilisé cette notion, qu'il illustrait par une comparaison de la langue avec le jeu d'échecs : n'importe quelle pièce de ce jeu, ou son support, ou le matériau dans lequel ils sont faits sont parfaitement indifférents au déroulement de la partie, pourvu que les joueurs se soient accordés sur la « valeur » à donner à l'élément. De même, dans la langue, un élément ne s'identifie que par la valeur dont l'a nanti la communauté des usagers, à savoir le champ de fonctionnement qu'il recouvre à l'intérieur du système sémiologique.

C'est en cela que la notion est étroitement rattachée à l'arbitraire et au système. Pour le premier de ces deux concepts, on se rappellera que ce n'est pas la chose qui détermine la valeur, même si on a l'impression qu'un signe recouvre une réalité objective : c'est seulement le consensus, et notamment, par une détermination négative, le fait qu'un signe n'est pas l'équivalent d'un autre signe. C'est le jeu des oppositions intrasystémiques qui fonde la signification.

Car, pour Saussure, si la valeur est un fait de langue, la signification est un fait de parole (au sens où il prenait ces deux termes : langue = organisation abstraite, parole = utilisation effective de la langue). Ainsi, le mot français « mouton » peut avoir la même signification que le mot anglais mutton dans des phrases comme « j'ai mangé du mouton » et I ate mutton par exemple ; il peut aussi avoir la même signification que le mot anglais sheep dans des phrases comme « j'ai vu un mouton » et I saw a sheep par exemple. Mais jamais ces termes n'auront la même valeur, car ils ne coexistent pas, dans leurs systèmes respectifs, avec les mêmes unités. En particulier, pour ce qui concerne le champ des animaux domestiques comestibles, « mouton » coexiste simplement avec « bœuf », « veau », etc., alors que mutton est inséré dans un système double : sheep, ox, calf/mutton, beef, veal.

La notion de valeur est fondamentale dans la constitution de la linguistique structurale. En effet, affirmer que ce qui compte dans une unité c'est sa valeur (et non sa forme ou sa signification) revient à dire que le « pouvoir d'échange », pour rester dans les emprunts à l'économie, de cette unité est fixé et limité par les rapports existant entre cette unité et d'autres unités de même nature. C'est-à-dire qu'on se refusera à considérer des unités prises isolément, mais qu'on étudiera les systèmes d'unités et la façon dont ces systèmes, par leur organisation, déterminent la valeur de chacune des unités. C'est là le principe premier du structuralisme, et son application en linguistique est surtout évidente dans le domaine phonologique. La notion de phonème, unité abstraite qui peut avoir des réalisations concrètes diverses, est directement issue de celle de valeur.

— Louis-Jean CALVET

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à la Sorbonne

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