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VALEURS, philosophie

La notion de valeur est souvent utilisée au pluriel. Il semble en effet difficile de considérer comme de même nature l'impression esthétique qui nous fait trouver un tableau saisissant, le respect pour une décision politique courageuse, l'approbation d'un acte charitable, l'admiration pour une performance intellectuelle, le jugement portant sur le rendement d'une machine, ou encore une estimation boursière. Les choses étaient plus simples quand on ne parlait pas de valeurs au pluriel, mais du bien au singulier, que les théologiens nous disaient intimement relié au beau et au vrai. Mais une fois ancré dans les esprits que dans le domaine des valeurs chacun doit pouvoir juger en toute liberté de conscience, il devient possible que différents individus agissent au nom de valeurs non seulement qui s'opposent, mais dont on peut se demander si elles sont comparables entre elles. Du coup, la suprême valeur n'est-elle pas la liberté, puisque c'est elle qui nous permet de choisir entre les autres valeurs ?

Effectivement, toute une philosophie des valeurs s'est fondée sur la liberté du sujet, et Sartre a même été jusqu'à soutenir qu'en dehors de l'engagement du sujet qui les choisit, les valeurs n'existent pas. Mais alors, puisque c'est le sujet qui porte les valeurs à l'existence, l'existence même de ce sujet porteur de valeurs ne devrait-elle pas être une valeur que tous devraient reconnaître (s'ils doivent en reconnaître une) ? On trouve cette idée aussi bien chez un libéral comme Robert Nozick que chez un tenant de l'irréductibilité de l'éthique comme Emmanuel Lévinas. La différence est que, pour Nozick, je peux me reconnaître moi-même comme porteur de valeurs, alors que pour Lévinas, c'est toujours dans le visage d'autrui que je rencontre l'exigence de valeur. À suivre le second, cependant, il est difficile de savoir comment cette exigence va orienter mes choix dans l'existence. Et à suivre le premier, n'en revient-on pas à confier toute valeur à une subjectivité dont les choix restent arbitraires ? Tel est le paradoxe : une fois la valeur réduite à la liberté de choix, nous ne disposons plus de valeurs pour orienter nos choix. Or c'est pourtant pour orienter et justifier nos choix que nous avons recours aux valeurs.

Cependant, si on prétendait nous imposer un choix au nom d'une valeur à laquelle nous n'adhérons pas, et qui n'a pour nous aucun pouvoir de motivation, nous objecterions justement que ce choix serait non plus guidé par une valeur, mais imposé par une contrainte. Mais si nous exigeons que les valeurs soient liées à nos motivations personnelles, nous courons alors le risque de voir notre choix de nous engager au nom d'une valeur reposer sur notre motivation, qui elle-même ne se révèle que par ce choix. Si ce cercle se referme, nos motivations (nos désirs) deviennent simplement les sources de nos valeurs.

Les philosophes ont été sensibles au danger qu'il y aurait à voir nos valeurs se réduire à nos désirs, et ils ont proposé d'instaurer une division radicale entre les faits et les motivations, entre les croyances et les désirs. Si donc nous croyons en quelque valeur, cette croyance ne devrait pas avoir pour seul fondement notre désir. Mais les valeurs sont forcément reliées aux motivations, puisqu'une valeur qui ne pourrait jamais nous motiver serait un non-sens. Le lien entre valeurs et motivations, et la division entre les motivations, et les croyances qui sont du domaine de la connaissance, ont ainsi pour conséquence indirecte que la recherche dans le domaine de la connaissance doit tendre à la neutralité par rapport aux valeurs, si elle veut pouvoir identifier des faits.

Max Weber a défendu une telle neutralité de la connaissance par rapport aux valeurs. Mais si les faits ne nous motivent[...]

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