VALEURS, sociologie
Qu'est-ce qu'une valeur morale ?
Malgré les doutes qu'elle exprime sur l'universalité des valeurs, l'œuvre de Max Weber offre néanmoins des ressources intéressantes pour surmonter certaines des difficultés qui viennent d'être évoquées. Pour Weber, en effet, toutes les valeurs n'appartiennent pas nécessairement au domaine de la morale. Les valeurs proprement éthiques sont historiquement liées, selon lui, aux religions du salut, et elles peuvent entrer en conflit, pour différentes raisons, avec d'autres « sphères de valeur », comme celles de l'économie, de la politique, de l'esthétique, de l'érotique et enfin de la science ou, plus généralement, de l'intellect. La distinction wébérienne des sphères de valeurs met ainsi en évidence la diversité des biens que les êtres humains peuvent rechercher, dont on voit en effet qu'ils n'appartiennent pas tous, loin s'en faut, au domaine des valeurs morales – le philosophe Emmanuel Kant avait du reste déjà attiré l'attention sur la distinction entre les biens sensibles et les biens moraux. Mais, par la même occasion, l'analyse wébérienne oblige à se demander ce qui assure le caractère proprement moral des valeurs, y compris lorsqu'il s'agit de valeurs religieuses. On admettra sans peine, par exemple, que l'éthique religieuse de la fraternité ou le devoir d'assistance à tous ceux qui sont victimes d'une souffrance imméritée (Weber, 1915) se rattachent d'une façon ou d'une autre à une axiologie morale. En revanche, on ne voit pas très bien en quoi le refus religieux du monde ou l'ascétisme intramondain, ou encore ce que Weber appelle la « barbarie éthique » qui consiste à imposer au monde les desseins de Dieu tels qu'on les conçoit seraient ipso facto des valeurs morales. De même que les valeurs économiques, hédonistes ou ludiques ne relèvent pas forcément de l'éthique, il n'y a en fin de compte aucune raison de penser que les valeurs religieuses seraient détentrices par nature, pour ainsi dire, d'un brevet de moralité.
Le débat qui vient d'être esquissé à propos du statut proprement moral des valeurs a fait l'objet, dans la littérature contemporaine, de nouveaux apports qui conduisent à mettre en cause l'idée de relativité des valeurs au nom des exigences réflexives et rationnelles que celles-ci doivent remplir pour obtenir le statut de valeurs morales. Ainsi, certains auteurs ont tenté de spécifier les valeurs morales au travers de critères formels permettant de les distinguer de simples préférences, par exemple lorsqu'il s'agit de préférences réflexives qui portent elles-mêmes sur d'autres préférences (David Lewis, 1989), ou lorsqu'elles paraissent suffisamment justifiées pour résister à la révision (Pierre Livet, 2002).
Le thème d'une rationalité des valeurs (Wertrationalität) ou rationalité axiologique (Raymond Boudon, 1999), dont Weber fut aussi le promoteur, a finalement été pris au sérieux comme véritable alternative à la rationalité utilitaire. Cela supposait en particulier de séparer le rapport rationnel aux valeurs de l'arbitraire potentiel d'une « éthique de la conviction » qui s'obstine sur une valeur sans se donner la peine d'en soumettre l'application à la critique ouverte des autres êtres rationnels. Le problème moral pratique que les valeurs devraient résoudre n'est pas tant en effet d'être fidèle à certaines valeurs, fussent-elles éminentes, que de ne pas en piétiner d'autres tout aussi importantes par un aveuglement pratique lui-même dépourvu de valeur. C'est ce qui peut arriver lorsque, par exemple, le respect de la vie, le refus de mentir ou la fidélité à la foi jurée entraînent des conséquences contraires à toute valeur authentiquement morale.[...]
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Écrit par
- Patrick PHARO : directeur de recherche au C.N.R.S.
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