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VALLA LORENZO DELLA VALLE dit IL (1407-1457)

En ces temps de faveur renouvelée pour le nominalisme et la critique des universaux, il est bon d'aller demander à Lorenzo Valla, un maître de l' humanisme italien, comment la culture de la péninsule est parvenue, dès la première moitié du xve siècle, à donner un contenu, c'est-à-dire une philologie, une éthique, une politique, une théologie et finalement une rhétorique, à la critique abstraite de l'ontologie que le nominalisme avait entreprise. Mais, si l'humanisme de Valla constitue à la fois une suite et une réaction aux crises de la scolastique du xive siècle, son effet immédiat consista d'abord à déplacer le point d'application de l'effort de connaissance et à faire surgir un continent enfoui du savoir : l'histoire de la langue. L'appel au langage comme à un principe critique de l'architectonique scolastique ne pouvait, en effet, se limiter au seul domaine des signes conventionnels retenus par l'usage de l'École. C'est toute la langue, comme véhicule de l'histoire humaine, qui est concernée, et le rassemblement de cet effort millénaire dans la latinité vaut désormais comme source de tout sens et comme critère de la vérité. Valla aura beau, avec une modestie feinte, se prétendre un simple grammairien occupé d'une recherche modica quidem et exilis, il contribuera plus que tout autre à inventer un nouvel art de juger les « choses » par les « mots », qui s'efforcera, non sans provoquer de formidables bouleversements, de libérer la religion chrétienne d'une théologie réputée barbare, et l'homme, des fins qui lui sont étrangères.

Le rire de Valla (1407-1435)

Lorenzo Valla naît à Rome en 1407 d'une famille de juristes, originaires de Piacenza, attachés au Saint-Siège. « Ego certe et natus et alitus Romae » – « mais moi je suis vraiment né à Rome et j'ai été nourri à sa mamelle » –, se vantera-t-il plus tard. Il livrera surtout par ces mots le secret d'une œuvre dont la Rome antique et son héritière, la cour pontificale, constituent le centre attractif et l'énigme inépuisable. Mais il faut d'abord quitter Rome avant d'y revenir pour créer l'événement. Orphelin de père en 1418, Lorenzo est placé sous la tutelle de son oncle, secrétaire apostolique, et suit en 1419 la cour à Florence. Il y apprend le grec auprès de traducteurs de Platon qui ont été directement instruits en Grèce et approfondit sa connaissance du latin en prenant pour modèles Cicéron, Quintilien et les grands jurisconsultes romains, Ulpien et Scævola.

Il n'a pas vingt ans et rédige un De comparatione Ciceronis Quintilianique aujourd'hui perdu, mais dont l'idée directrice contient tous les éléments à venir de son œuvre. On a peine aujourd'hui à concevoir ce que pouvait avoir d'insolent la seule idée de comparer, c'est-à-dire de distinguer et même d'opposer, du point de vue de la pureté de l'élocution, les deux garants de la continuité du grand style latin. Panormita, humaniste napolitain de renom, a le libelle entre les mains et ne veut en excuser l'audace que parce qu'il s'agit de l'exercice d'un jeune talent pugnace. Il n'en reconnaît pas moins, dit-il, une certaine capacité chez Valla à réveiller les esprits.

Cette capacité, Valla en dispose en abondance et le paradoxe de son existence voudra qu'il l'exerce à plein dans un milieu romain entièrement dévoué à manifester la légitimité de la tradition. Mais, plus encore que par la pugnacité – dont il fera effectivement preuve toute sa vie en multipliant les querelles littéraires selon toutes les ressources du genre –, notre humaniste se fera d'abord remarquer par un certain rire, et ce rire ne s'oublie pas. Rire nouveau, plus destructeur que la plus acérée des dialectiques, il contribue[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, chargé de recherche au C.N.R.S.

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