VALLA LORENZO DELLA VALLE dit IL (1407-1457)
L'arrogance et la tradition (1435-1448)
Le paradoxe de la pensée de Valla tient au caractère contradictoire de son concept de la tradition. Comme les grands humanistes héritiers de Pétrarque, il ne manque jamais de revendiquer l'usage (consuetudo) de la langue latine et des Pères de l'Église contre la logique et la théologie scolastiques. Mais, inversement, en valorisant Quintilien contre Cicéron, c'est-à-dire une pédagogie et une codification stylistique contre l'usage réel de la langue, il rompt le contrat humaniste et scandalise ceux qui choisissent sans nuance le droit de l'histoire contre toute norme idéale. Sous la plume de ceux-ci, il est le barbare, et il le leur rend bien : « C'est à peine, à mon avis, si je vois un seul domaine où je ne puisse apporter quelque chose de nouveau » (« Lettre à Tortelli », citée in Camporeale, p. 225) ; « ce que personne ne comprenait, j'ai cru que moi seul je l'avais compris » (« Lettre au cardinal Scarampi », 19 nov. 1443).
En réalité, Valla découvre dans ses lectures d'Ockham et de Paul de Venise, lors du séjour à Pavie, que l'humanisme ne pourra prendre le relais de la conscience critique de la scolastique finissante s'il ne s'appuie que sur la morgue des lettrés de la génération précédente. Loin de replier la conscience philologique sur un culte exclusif de la forme pure, aussi vide en dernière analyse que les jeux logiques auxquels elle prétend apporter remède, Valla propose déjà, comme plus tard Politien dans sa lutte contre le cicéronisme curial, une autre dialectique, ni transcendante ni formaliste, mais réelle, c'est-à-dire capable d'épouser l'historicité des signes à l'âge du déclin des essences. Une telle dialectique sera définie comme un sous-ensemble et un moment de la rhétorique, seul usage concret et accompli des puissances cognitives de la langue. C'est dans cette perspective de relativisation et d'intégration de l'ancien trivium qu'il faut lire ce bel éloge du latin et du grec : « Tandis que tout le monde navigue sur le petit lac des arts libéraux et se retire avec soin, comme à la hâte, du flot houleux de la langue grecque, le latin, comme en vue de la haute mer, n'ose s'écarter loin des terres » (Dialectica, 1982, 1, p. 6).
Tel sera en effet l'enjeu de la Dialectique de Valla esquissée à Pavie dans les remous causés par le De voluptate et par la prétention qu'a notre auteur de corriger les fautes de latin de ses collègues. Mais Valla, agressé dans la rue, est obligé de quitter la ville. Commence alors une vie d'errance entre Ferrare, Milan et Gênes, qui s'achève auprès d'Alphonse d'Aragon, dont il devient le secrétaire pendant la conquête du royaume de Naples. Confronté aux rigueurs de l'histoire concrète, il ne va pas renoncer à son sens de l'attaque ; il va plutôt lui donner une audience nouvelle et une signification délibérément politique. Au service des Aragon, qui mènent une action antiromaine, il publie les quatre œuvres de sa période gibeline : en 1439, le De libero arbitrio, la première version des Dialecticae disputationes, le De professione religiosorum ; en 1440, la De falso credita et ementita Constantini donatione.
Du premier de ces ouvrages, la lecture qu'en a proposée Leibniz dans la Théodicée permet de marquer la grandeur et les limites, pour ne rien dire de l'encombrante solidarité affichée par Luther dans le De servo arbitrio. Le livre, comme les précédents, est une attaque de Boèce, le premier barbare de la langue latine, dans lequel Valla voit à juste titre l'origine de toute l'histoire de la pensée scolastique. Née probablement de la traduction de la fable no 50 d'Ésope, la réflexion commence par un plaidoyer en faveur du christianisme authentique, à la façon de Savonarole,[...]
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Écrit par
- Bruno PINCHARD : agrégé de philosophie, chargé de recherche au C.N.R.S.
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