VALLA LORENZO DELLA VALLE dit IL (1407-1457)
Le pontificat des mots (1445-1457)
On aura remarqué que la proposition condamnée a été adressée par Valla lui-même au pape Eugène IV. Il y avait de quoi demander une grâce papale. L'attaque contre la vie religieuse dans le De professione reprenait durement une vieille tradition moitié bouffonne, moitié militante du siècle précédent, qui goûtait les grands débats sur les mérites comparés du mariage et de l'entrée en religion. Mais c'est contre une semblable attaque que Thomas d'Aquin était lui-même jadis intervenu dans le Contra pestiferam doctrinam retrahentium homines a religionis ingressu de 1270. Enfin, même si la critique de la Donation de Constantin était un lieu commun du gibelinisme depuis Dante au moins, les armes de la nouvelle philologie et le cruel reproche de trahir les idéaux chrétiens semblaient couper à jamais les liens avec le pape ainsi invectivé : « Puisque tu as cessé de nous être un père, n'oublierions-nous pas, nous aussi, d'être des fils ? ».
Cependant, à partir de 1443, les Aragon se rapprochent de Rome. Surtout, à Eugène IV succède un grand pape humaniste, Nicolas V, le fondateur de la bibliothèque vaticane. Valla peut négocier un retour à Rome dans les meilleures conditions. Mais la menace du procès pour hérésie ne cessera de peser. Des polémiques très violentes vont désormais occuper notre auteur, tout en lui permettant de soigner l'image de l'humanisme nouveau. Les réponses à Bartolomeo Fazio, à Panormita, concurrents directs à Naples et auprès des Aragon, et ensuite à Rome, contre le secrétaire apostolique, Poggio Bracciolini (que Valla contraindra finalement à quitter sa charge), permettent à Valla de faire triompher un renouveau culturel auxquels les cardinaux Bessarion et Nicolas de Cues donnent un appui sans réserve. Contre toute attente, Valla se voit confier un enseignement de rhétorique latine et grecque à Rome, tandis que son prédécesseur, Trapezunzio, préfère partir. En 1448, il est secrétaire apostolique, traducteur du pape (pour Homère et Thucydide) et récompensé par un canonicat à Saint-Jean-de-Latran. Assuré de pareils arrières, il peut faire paraître d'abord les Elegantiae linguae latinae, les In Novum Testamentum ex diversorum utriusque linguae codicum collatione adnotationes ensuite, ouvrant un débat sur l'autorité de la Vulgate dont l'Église ne se remettra jamais.
Les Elegantiae et les Adnotationes sont des livres mythiques. Ils peuvent décevoir. Rien de construit, rien d'organique en eux, seulement la lecture portée au rang d'un art et pratiquée comme une menace. Incontestablement, toute la manière de Montaigne est déjà dans ce soupçon jeté sur la culture entière par la seule analyse de la correction grammaticale des textes fondateurs. La force et la faiblesse de la culture chrétienne tenaient à sa dépendance à l'égard du latin. Un simple grammairien pouvait dès lors s'arroger le droit de corriger l'Église au nom d'une latinitas épurée : « Une religion sainte et une vraie culture des lettres me semblent coexister. Sans l'une, l'autre n'existe pas » (Prolusion de 1445). Tout est prêt pour formuler la question ultime qui fait balancer l'édifice entier : et si tout savoir et toute croyance se réduisaient à des songes du latin lui-même, à des fictions de la langue ? Dans la préface aux Elegantiae, Valla écrira le plus bel éloge de la langue latine qui soit : elle est un « grand signe sacré et certainement une grande manifestation de la volonté divine ». Elle représente l'éternité de l'Empire romain. Valla lutte pour cet Empire et adore sa langue comme jadis on adorait l'empereur. Admirable paganisme que favorise le Saint-Siège lui-même et qui permet de juger Jérôme, Boèce, Thomas, de leur préférer Paul etDémosthène, de marquer la différence[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bruno PINCHARD : agrégé de philosophie, chargé de recherche au C.N.R.S.
Classification
Autres références
-
ANACHRONISME, histoire
- Écrit par Olivier LÉVY-DUMOULIN
- 1 413 mots
...1990). Au cours de la gestation de ce nouveau régime d'historicité naît la critique érudite, l'approche philologique, dont la première pierre est posée par l'humaniste Lorenzo Valla. Vers 1440, il démontre que la Donation de Constantin, gage des pouvoirs temporels pontificaux, est un faux. Sa démonstration,... -
GRAMMAIRES SPÉCULATIVES
- Écrit par Bernard CERQUIGLINI
- 1 198 mots
À la fin du xiie siècle, un tournant s'opère dans la conception européenne des recherches linguistiques. Jusque-là, la grammaire, fondement de la culture médiévale et premier des « arts libéraux », se donnait pour tâche d'enseigner à bien parler et bien écrire (suivant la définition...
-
RENAISSANCE
- Écrit par Eugenio BATTISTI , Jacques CHOMARAT , Jean-Claude MARGOLIN et Jean MEYER
- 31 095 mots
- 21 médias
... Bruni (1370-1444) à Florence, G. Pontano (1426-1503) à Naples ; employés laïques à la curie comme Pogge (1380-1459), L. B. Alberti (1404-1472), L. Valla (1407-1457), Platina (1421-1481) ; ou encore professeurs : Guarino de Vérone (1374-1460), F. Filelfo (1398-1481), C. Landino (1424-1498), E. Barbaro... -
HISTOIRE (Histoire et historiens) - Sources et méthodes de l'histoire
- Écrit par Olivier LÉVY-DUMOULIN
- 6 217 mots
- 6 médias
...est indissociable de la critique de la Donation attribuée à Constantin (De falso credita et ementita Constantini donatione) que l'humaniste italien Lorenzo Valla rédige depuis la cour du roi de Sicile, Alphonse d'Aragon. Publié autour de 1440, ce texte analyse la source sur laquelle reposait la prétention...