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VAN EYCK, UNE RÉVOLUTION OPTIQUE (exposition)

<em>Adoration de l’Agneau mystique</em>, H. et J. Van Eyck - crédits : Kenzo Tribouillard/ AFP

Adoration de l’Agneau mystique, H. et J. Van Eyck

Le polyptyque à volets peint par Hubert et Jan Van Eyck à la demande du donateur Joos Vyd, pour une chapelle de la cathédrale Saint-Bavon de Gand, et terminé en 1432, est universellement reconnu comme un immense chef-d’œuvre de l’histoire de la peinture. Appelé communément l’Agneau mystiquepour la scène centrale du retable ouvert, qui montre l’agneau égorgé, selon Apocalypse 5, mais triomphant sur l’autel et vénéré par les anges, les prophètes, les apôtres, les saints et divers groupes représentant toute la chrétienté, il fait l’objet d’une patiente restauration. L’enlèvement de couches de vernis accumulés au cours des siècles et de certains repeints a fait réapparaître la peinture originale dans toute sa luminosité. Le musée des Beaux-Arts de Gand – où les panneaux du retable fermé et une première partie de l’intérieur ont été restaurés entre 2012 et 2019 – a saisi cette occasion pour organiser une très ambitieuse exposition, Van Eyck, une révolution optique(du 1er février au 12 mars 2020, date de sa fermeture prématurée) avant le retour du polyptyque en la cathédrale. Lors de cette manifestation, celui-ci se trouvait entouré d’autres peintures de Jan Van Eyck – ce qui est attribuable à son frère Hubert, mort en 1426, est très discuté – et de créations d’artistes actifs dans les États des ducs de Bourgogne, mais aussi dans d’autres régions de l’Europe.

Un réalisme analytique

Le xve siècle marque une mutation majeure pour l’art européen, et en particulier pour l’histoire de la peinture. En Italie, le Quattrocento découvre une nouvelle manière de représenter le monde, dans un regard vers l’Antiquité classique, qui aide à voir et respecter les proportions du corps humain, et dans l’application d’une perspective mathématique qui crée une structuration de l'espace ; les bâtiments sont ramenés à des formes géométriques simples qui créent plans et volumes où l'action peut se dérouler. Au nord des Alpes, Jan Van Eyck inaugure une tout autre approche. Comme l’Italie, il se détourne de l’art délicat, raffiné et presque paradisiaque des années 1380-1420, mais il le fait par un « réalisme analytique » qui est d'abord celui de matières baignées dans une lumière qui les enveloppe et les pénètre. Il peint un monde saturé d'une présence silencieuse, rendant la surface des choses, les veinures d'un marbre, l'épaisseur d'un velours de brocart, la brillance ou la matité d'un laiton, le scintillement des feuilles dans un parterre végétal. Mais, si cette vérité des formes sert la vie intense des objets, leur surface révèle paradoxalement leur essence même, et participe d'un cosmos ordonné par le Créateur, et qui en est illuminé.

Cette révolution optique est d’abord permise par une amélioration technique. La peinture à l’huile existait bien avant Van Eyck, mais l’ajout de produits permettant des séchages très rapides conduit le peintre à superposer en glacis des couches très minces et translucides. La lumière, sous nos yeux, traverse ces glacis, rencontre une couche finale plus claire, et revient en nous donnant cette impression magique d’une surface qui irradie. Et, lorsque Van Eyck peint des matières qui, par définition, provoquent des reflets – l’armure métallique d’un saint, un flacon de verre –, l’illusion atteint le niveau d’un trompe-l’œil. Si l’Italie exprime alors le monde et le reconstitue superbement par l’intellect, Van Eyck l’approche et le rend magnifiquement par les sens.

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

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Média

<em>Adoration de l’Agneau mystique</em>, H. et J. Van Eyck - crédits : Kenzo Tribouillard/ AFP

Adoration de l’Agneau mystique, H. et J. Van Eyck