PACKARD VANCE (1914-1996)
Parlant incidemment du sociologue américain Vance Packard, Herbert Marcuse écrit, dans l'introduction de L'Homme unidimensionnel : « J'aimerais souligner l'importance des travaux de C. Wright Mills et de ses études qui sont souvent mal accueillies à cause de leur simplification, de leurs exagérations et de leur caractère journalistique. The Hidden Persuaders, The Status Seekers, The Waste Makers, de Vance Packard [...] appartiennent à cette catégorie. Certes, le manque d'analyse théorique masque souvent, dans ces travaux, les causes des conditions décrites, mais ces conditions sont suffisamment éloquentes par elles-mêmes. » Par « manque d'analyse théorique », Marcuse doit vraisemblablement entendre « manque d'analyse marxiste ». Mais, de son texte, on peut retenir qu'en effet Packard, qui fut journaliste (Record, Associated Press, American Magazine, Collier's Magazine) avant d'enseigner aux universités Columbia et New York, a les qualités et les défauts de ses origines professionnelles : une simplicité de l'écriture, un style qui vise à susciter une adhésion émotionnelle, le souci du détail « qui parle »... Cependant, l'intérêt que prête Marcuse à ces enquêtes et à ces descriptions vient de ce qu'elles s'inscrivent, comme ses propres travaux, dans ce courant de la sociologie américaine qui a marqué les années 1950 et 1960 et qui met au centre de son discours la dénonciation de la société de consommation et ses aliénations supposées. La description est polémique d'une société riche qui passe de l'esclavage de la rareté à l'esclavage de l'abondance et invente les techniques pour créer un homme dont le désir d'être se convertira en fureur d'avoir ; un homme qui soumettra tout à la quantification et une société où l'abondance se fait malheur. Les individus seraient l'objet d'une dictature insidieuse qui les déposséderait de leur autonomie par la manipulation de leur esprit, et c'est dans l'étude de ces manipulations que réside l'essentiel des apports de Vance Packard : en sociologue de la communication et des médias, il cherchera à cerner les moyens qui permettent de transformer l'homme en consommateur insatiable.
Ses livres se succèdent, bientôt traduits en français chez Calmann-Lévy : The Hidden Persuaders, 1957 (La Persuasion clandestine, 1958) ; The Status Seekers, 1959 (Les Obsédés du standing, 1962) ; The Waste Makers, 1960 (L'Art du gaspillage, 1961) ; The Naked Society, 1964 (Une société sans défense, 1965) ; The Sexual Wilderness, 1968 (Le Sexe sauvage, 1969). C'est ce sociologue de l'effet social des médias qui nous paraît mériter d'être retenu.
Il faut rapprocher – pour mieux les différencier – Le Viol des foules de Serge Tchakhotine et La Persuasion clandestine de Packard. Ces deux ouvrages traitent de l'omnipotence des médias dans le contrôle social des sociétés modernes. Mais Tchakhotine étudie les effets de la propagande (celle de Hitler) comme instrument du contrôle politique des foules, alors que Packard s'intéresse à la publicité. Or propagande et publicité diffèrent dans leurs principes comme dans leur rhétorique. La propagande se veut directive, pédagogique et transformatrice des consciences ; la publicité se veut séductrice, flattant l'individu dans son ego et lui offrant les objets que sa qualité d'individu exige qu'il possède. Avec Packard, on analyse la façon dont la société libérale impose sans heurter, soumet en caressant et en flattant. La publicité joue de l'individualisme, la propagande de la fusion communautaire.
Les travaux de Packard restent, certes, marqués par le souci d'une critique sociale. Mais ils auront contribué à ouvrir à la sociologie des médias une voie différente de celles des psychosociologues[...]
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Écrit par
- André AKOUN : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne
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