VARIOLE
La vaccination antivariolique
Les débuts de la prophylaxie
La variolisation, inventée par les Chinois (Wang Tan fait mention de la variolisation par voie nasale en 1014), exploitée en Turquie par les matrones et les médecins grec et italien Timoni et Pylarini, rapportée en Angleterre par Mme de Wortley Montague, femme de l'ambassadeur à Constantinople, fut diffusée en Europe par la célèbre épistolière et par Voltaire qui en fit le sujet de sa onzième lettre philosophique. Côté pratique, les Sutton en Angleterre en perfectionnèrent la technique (le « secret » des Sutton), tandis que le docteur Tronchin, en Suisse comme en France, s'affirma le « spécialiste » de l'inoculation ; c'est à lui qu'on fit appel pour varioliser les membres les plus importants de la noblesse, de la haute bourgeoisie d'Europe, et des familles royales (dont la variole, coup sur coup, modifiait par ses ravages l'ordre de succession). Mais la variolisation ne fut jamais une méthode populaire, car le sujet inoculé devait être isolé de son entourage tant qu'il risquait de le contaminer et de devenir ainsi source d'épidémie ; le séjour dans une clinique d'inoculation était réalisable pour les riches, non pour le menu peuple.
Alors Edward Jenner survint. Certes, l'analogie entre la picote des vaches (ou cow-pox, ou vaccine) et la variole de l'homme avait déjà été exprimée avant lui (par le pasteur Rabaut-Pommier, de Montpellier, par le fermier anglais Benjamin Jesty), mais c'est Jenner qui soumet l'idée à un contrôle expérimental sévère : le 14 mai 1796, il inocule le contenu de la pustule de cow-pox que portait sur sa main la vachère Sarah Nelmes, au bras du jeune enfant James Phips ; une pustule se développe, en tous points comparable ; quelque temps plus tard, il essaie de varioliser l'enfant ; vainement. La preuve était donnée : la vaccine, maladie de la vache, transmise à l'homme et toujours bénigne chez lui, protège de la terrible variole humaine.
La méthode traverse la Manche et s'impose en Europe occidentale, avec plus de succès même qu'en Angleterre. Des comités de la vaccine se créent un peu partout, regroupés en France sous l'égide du comité central dirigé par La Rochefoucauld-Liancourt. En 1811, Napoléon fait vacciner le roi de Rome par le docteur Husson. En 1820, Louis xviii, dans l'acte qui crée l'Académie de médecine, lui confie le soin de prendre la succession du comité central et de propager la vaccine. Mais trois faits limitent son expansion, inhérents à la technique jennérienne de la transmission de la vaccine de bras à bras : on ne dispose pas toujours facilement d'un donneur ; par passage d'homme à homme, la vaccine « s'épuise » ; en même temps que la vaccine, on risque de transmette la syphilis au receveur.
Nous sommes en 1864. L'Académie de médecine s'inquiète ; le Congrès de médecine de Lyon met le problème de la « syphilis vaccinale » à son programme. Le représentant italien, le docteur Palasciano, y rapporte une méthode mise au point à Naples par le docteur Negri : elle consiste à repasser la vaccine par la génisse qui sert de vaccinifère. Ernest Chambon, étudiant en médecine, s'enthousiasme pour la vaccination de génisse à bras. Il envoie son ami le docteur Lanoix à Naples ; une génisse y est achetée, que Negri inocule ; elle est ramenée à Lyon, puis à Paris, et hébergée au domicile de Chambon à Saint-Mandé, où la souche vaccinale est entretenue par le passage de génisse à génisse. Inventant la table d'opération pour les génisses et les appareils pour l'inoculation et la récolte du vaccin dans les meilleures conditions d'hygiène, précisant le temps de culture sur la peau de l'animal le plus favorable au maintien de la virulence, Chambon réalise le triple objectif[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Robert FASQUELLE : professeur de microbiologie aux facultés de médecine de Paris, membre de l'Académie nationale de médecine
- Jacques MAURIN : docteur en médecine, professeur de microbiologie à l'École nationale de la santé publique
Classification
Autres références
-
ÉRADICATION DE LA VARIOLE
- Écrit par Robert FASQUELLE
- 241 mots
En 1948, la première réunion de l'Assemblée mondiale de la santé décide de mettre au premier plan de son programme la lutte contre la variole. En 1952, l'O.M.S. réunit à Genève un comité de quatre experts : une expérimentation internationale est entreprise. Seul le vaccin sec (c’est...
-
JENNER : VACCINATION ANTIVARIOLIQUE
- Écrit par Gabriel GACHELIN
- 247 mots
- 1 média
Edward Jenner (1749-1823) était médecin à Berkeley (Gloucestershire, Grande-Bretagne), lorsqu'il réalisa ce que l'on peut tenir pour la première vraie vaccination, au demeurant d'ailleurs une expérimentation sur l'homme. Il était connu des médecins musulmans que l'inoculation, à...
-
ÉPIDÉMIES ET PANDÉMIES
- Écrit par Jacqueline BROSSOLLET , Georges DUBY , Encyclopædia Universalis , Gabriel GACHELIN et Jean-Louis MIÈGE
- 20 843 mots
- 15 médias
...actuelles, mais sous réserve que celles-ci soient applicables à des faits remontant à plusieurs siècles ou millénaires : ainsi la découverte de stigmates de variole sur une momie (Ramsès V) de la XXe dynastie égyptienne peut autoriser à parler d'épidémie à cette époque en raison du caractère hautement contagieux... -
ÉRUPTIVES MALADIES
- Écrit par Didier LAVERGNE
- 595 mots
On qualifie de maladies éruptives des maladies infectieuses accompagnées — et caractérisées — par un exanthème, c'est-à-dire une érubescence cutanée plus ou moins durable.
Cette rougeur initiale affecte parfois des zones très localisées du corps, mais elle peut aussi apparaître sur...
-
FENNER FRANK JOHN (1914-2010)
- Écrit par Gabriel GACHELIN
- 653 mots
- 1 média
Le nom de l’Australien Frank Fenner est associé à deux événements majeurs en virologie médicale : d’une part le contrôle de la prolifération des lapins en Australie grâce au virus de la myxomatose au début des années 1950, d’autre part l’éradication de la variole en 1980.
-
IMMUNOLOGIE
- Écrit par Joseph ALOUF et Pierre GRABAR
- 5 262 mots
- 8 médias
...certaines maladies était protégée contre la répétition de ces maladies et, déjà avant notre ère, on pratiquait en Chine la variolisation pour prévenir la variole en inoculant à des personnes saines des produits de pustules de malades ayant une variole bénigne. Au milieu du xixe siècle, en Afrique centrale,... - Afficher les 16 références