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JOUKOVSKI VASSILI ANDREÏEVITCH (1783-1852)

De la traduction à la création

Historiquement, l'œuvre de Joukovski se place au confluent de plusieurs courants : classicisme vieillissant, sentimentalisme, romantisme. Ses ballades le feront considérer comme l'introducteur, en Russie, du romantisme et en feront la cible des « classiques », tenants de l'amiral A. S. Chichkov. C'est pour le défendre que sera fondée une célèbre société littéraire, l'Arzamas, à laquelle appartiendra Pouchkine. Mais la jeune génération attendra en vain de Joukovski un renouvellement de ses sources d'inspiration et un approfondissement de la notion du romantisme ; il restera à l'écart des problèmes de la nouvelle littérature, admiré mais fidèle à lui-même et à son génie poétique.

C'est une traduction de la fameuse Élégie écrite dans un cimetière de campagne de Thomas Gray qui marque, de l'avis de Joukovski même, le début de sa carrière littéraire (1801). On y trouve les thèmes ordinaires du sentimentalisme : réflexions sur la mort, souci des humbles, goût des paysages mélancoliques reflétant l'état d'âme du poète. Ils n'abandonneront jamais son œuvre et se mêleront à l'apport romantique.

Après quelques œuvres marquées par l'influence de Karamzine et de Gray, se produit un événement littéraire considérable : en 1808, Joukovski édite sa première ballade, Lioudmila (Ljudmila), adaptation de la Lénore de Gottfried August Bürger. Avec Lioudmila, c'est le romantisme qui est révélé aux Russes : l'enthousiasme est indescriptible, les imitations et les parodies innombrables. Pour la première fois, à un fantastique purement extérieur et événementiel est substitué un fantastique baigné de lyrisme, qui reflète l'état d'âme des héros. Le caractère national (narodnost') de l'œuvre reste superficiel : seuls quelques détails concrets transposent le Moyen Âge allemand en une vieille Russie en trompe-l'œil, et huit ans plus tard de jeunes écrivains en feront le reproche à l'auteur. Mais les qualités plastiques du vers, une douceur presque élégiaque mêlée aux émotions fortes du fantastique « sépulcral », la révélation du Moyen Âge très poétisé ont donné un ton nouveau à la poésie russe.

Joukovski restera en Russie le grand maître de la ballade. En 1809, il adapte la Cassandre de Schiller, première ballade d'une série consacrée à des thèmes antiques. En 1812, paraît une nouvelle version de la Lénore de Bürger, Svetlana, dont le succès égale celui de Lioudmila. Le caractère russe de l'œuvre est beaucoup plus net, grâce à une description précise de coutumes folkloriques et à l'utilisation de motifs de chants populaires. Même succès avec une autre ballade célèbre. Les Douze Vierges endormies (Dvenadcat'spjaščih dev, 1817), où Joukovski transpose sur les bords du Dniepr un thème chrétien proche du Graal.

L'année de Svetlana est aussi celle de l'invasion napoléonienne et du poème Un chanteur dans le camp des guerriers russes (Pevec vo stane russkih voinov), la meilleure œuvre littéraire inspirée par 1812, avec les fables d'Ivan Krylov. En dépit de quelques influences occidentales (Le Barde de Gray, par exemple), c'est une œuvre authentiquement russe par son souffle patriotique et sa langue, vigoureuse et concise. L'enthousiasme est à son comble avec une épître À l'empereur Alexandre (Imperatoru Aleksandru Poslanie, 1814), qui donne une expression de l'extraordinaire popularité du tsar, et vaut à Joukovski la faveur de la famille impériale.

Cette inspiration officielle sera vite tarie et Joukovski n'écrira pas la grande épopée nationale qu'on attendait de lui. Son idéalisme chrétien est plus proche d'un registre intimiste. À Eschine, qui a cherché en vain le bonheur dans le monde, il préfère Théon, résigné au malheur et consolé[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

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  • CERCLES LITTÉRAIRES RUSSES

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    • 1 021 mots

    Durant le xixe siècle, en Russie, les cercles littéraires et philosophiques jouent un rôle intellectuel et social considérable, surtout dans les premières décennies, quand l'activité littéraire est pratiquement la seule forme d'expression possible : rôle formateur pour des adolescents insatisfaits...