Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VEDĀNTA

La précellence du Vedānta à partir du XVIIe siècle

Après Vallabha, le Vedānta ne produit plus de personnalité de premier plan. Nombreux, certes, sont les commentateurs de Śankara, c'est-à-dire des philosophes qui rédigent le commentaire d'un commentaire ! Mais il leur est évidemment difficile de faire preuve de beaucoup d'originalité en la matière. Néanmoins, la nécessité pour le Vedānta de se situer clairement en tant que système cohérent et « complet », face au développement de la « nouvelle logique » (fondée au xiiie siècle par Gaṅgeśa) et au prestige grandissant du yoga, oblige les « sur-commentateurs » à développer certains aspects de la doctrine de Śankara : c'est le cas notamment de l'épistémologie et de la description des moyens pratiques pour accéder concrètement à la « connaissance vraie » (jñāna), qui s'identifie avec la délivrance. C'est ainsi qu'au xvie siècle Vijñāna Bhikṣu tente une synthèse du Vedānta et du yoga, bientôt suivi dans cette voie par un nombre considérable de philosophes qui expliquent inlassablement que le Vedānta est, en fait, la synthèse et le couronnement de tous les darśanas.

On peut dire que, dès le xviie siècle, la partie est gagnée : le Vedānta apparaît comme la métaphysique par excellence ou, si l'on préfère, la philosophie en soi, cependant que les autres systèmes ne sont plus considérés que comme des approches préliminaires (ou des aspects spécialisés) de la doctrine brahmanique par excellence. Au xixe siècle, lorsque les Européens ont enfin un contact direct avec la sagesse hindoue, c'est le Vedānta qui leur est surtout présenté ; et c'est lui, en tout cas, qui retient le plus leur attention. On sait que, par exemple, les philosophes allemands, de Schopenhauer à Deussen, identifient constamment le Vedānta de Śankara avec « la » philosophie hindoue, et même avec la métaphysique universelle. Il y a, certes, quelques contresens dans leur vue du Vedānta (qu'ils tiennent, à tort, pour un « idéalisme »), mais il n'en reste pas moins vrai que les positions de Śankara et de Rāmānuja sont effectivement les plus strictement métaphysiques de toutes celles que l'on rencontre en Inde. Tous les darśanas prétendent apporter une vision complète (c'est là l'un des sens du mot darśana) de l'ordre des choses, et donc enseignent une « voie de salut », mais il est évidemment difficile de croire que l'on gagnera le ciel par la connaissance de la logique (nyāya) ou par l'exégèse (mīmāṁsā) des textes sacrés. Le sāṁkhya seul pouvait prétendre au titre de philosophie complète et d'explication métaphysique du monde. Mais, très tôt, ce darśana s'est laissé en quelque sorte absorber par le yoga dont il était solidaire, et il est remarquable que Śankara n'ait pas jugé utile de le réfuter systématiquement, alors qu'il se sentait encore obligé de polémiquer avec les bouddhistes, pourtant déjà à peu près complètement éliminés de l'Inde.

Cette victoire sans partage du Vedānta tient sans doute au fait qu'il incarnait effectivement ce qui était fondamental dans l'hindouisme, à savoir le sentiment intime que, dans l'ordre philosophique, il existe une hiérarchie des valeurs, comme il en existe une dans tous les aspects du dharma, que ce soit dans l'ordre social (système des castes) ou dans l'ordre religieux (le panthéon, lui aussi, est hiérarchisé). En plaçant la recherche de l'Absolu au-dessus de toutes les démarches humaines possibles, le Vedānta assurait la pérennité du dharma (c'est-à-dire, en fin de compte, de l'hindouisme lui-même), puisqu'il remettait chaque chose à sa vraie place : l'accomplissement du devoir de caste assure l'hindou d'une renaissance à un échelon supérieur de la vie sociale, la pratique[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III

Classification

Autres références

  • ADVAITA

    • Écrit par
    • 1 552 mots

    L'advaita, dont le nom signifie « non-dualité », est une des doctrines majeures de la philosophie indienne, et la forme la plus répandue de la philosophie dite Vedānta, aboutissement du Savoir par excellence. Les advaitavạ̄din sont ceux qui professent la doctrine selon laquelle il...

  • APPAYYADĪKṢITA

    • Écrit par
    • 638 mots

    Brahmane né dans une famille de lettrés qui était illustre dès le xve siècle et qui appartenait aux cercles cultivés du pays tamoul, le Bharadvājakula, Appayyadīkṣita est la figure la plus marquante de l'histoire religieuse et littéraire du xvie siècle. Il naquit dans le village...

  • ASCÈSE & ASCÉTISME

    • Écrit par
    • 4 669 mots
    • 1 média
    Une voie « intellectualiste » est représentée par des écoles telles que le sāṃkhya et levedānta. Elle suppose une rupture initiale avec le monde : le « renonçant » ( saṅnyāsin) abandonne ses biens, sa famille, sa caste et jusqu'à son nom, pour se consacrer uniquement à la poursuite...
  • ĀTMAN

    • Écrit par
    • 879 mots

    Le terme ātman est présent dès le Ṛg-Veda, où il désigne une sorte de principe de vie supérieur aux autres éléments constitutifs de la personne – sens, organes spécialisés, membres – et coordonnant leur activité. Dans les couches plus récentes de la littérature védique – les ...

  • Afficher les 24 références