VÉGÉTARISME
Le végétarisme de l'ère industrielle
La littérature et les projets de réforme inspirés de l'idéal végétarien prennent une nouvelle vigueur au xixe siècle, période de fondation de la plupart des sociétés végétariennes. Les mouvements de dissidence chrétienne et de réforme sanitaire que l'on voit s'épanouir au xixe siècle prennent probablement leur source à la Renaissance, puis dans le romantisme, en particulier le romantisme allemand, et laissent apparaître une transformation notable du rapport à la nature et à l'animal. Comme le suggère Keith Thomas dans son essai paru en 1985, Le Jardin de la nature, les citadins, de moins en moins en contact avec les animaux, tendent dès lors à se les représenter moins comme des bêtes de somme que comme des animaux de compagnie qui ne doivent pas subir de violences. Cette compassion nouvelle pour les animaux et la recherche de pureté prônée par différentes sectes protestantes accompagnent, au xixe siècle, la création des premières sociétés protectrices des animaux puis des sociétés végétariennes. Liées à des communautés protestantes dissidentes telles que l'Église adventiste, ou à des mouvements philanthropiques préoccupés d'hygiénisme, les pratiques d'inspiration végétarienne vont prendre aux États-Unis une résonance plus diététique que spirituelle, et connaître à la fin du siècle un premier essor commercial. Des cliniques proposent divers produits, cures et recettes. On peut par exemple penser au Bircher müesli du médecin suisse Maximilian Bircher-Benner (1867-1939) et aux Corn flakes des frères John Harvey (1852-1943) et Will Keith Kellogg (1860-1951). De véritables doctrines diététiques apparaissent : le fletcherisme (Horace Fletcher, 1849-1919), qui préconise une mastication prolongée, le sheltonisme (Herbert M. Shelton, 1895-1986), qui propose un régime d'alimentation dissociée (par classe d'aliments) afin de faciliter la digestion et la perte de poids. Les courants de réforme alimentaire, sanitaire et social sont aussi influents en Suisse et en Allemagne à partir des années 1850. En réaction à l'urbanisation et à l'industrialisation, les mouvements de Lebensreform (réforme de la vie) prônent des règles de vie « naturelles » en matière d'alimentation, de soin (cure de soleil, hydrothérapie), d'habillement (vêtements souples laissant le corps libre de ses mouvements) et de gymnastique. Ces mouvements accompagneront aussi la naissance de l'anthroposophie promue par Rudolph Steiner (1861-1925) dans les domaines de l'agriculture, de la santé et de l'éducation.
Le végétarisme a été associé aux courants politiques les plus opposés. Il entretient par exemple des liens avec l'anarchisme et, plus tard, avec le national-socialisme. Les pratiques végétariennes gagnent aussi le mouvement hippie né aux États-Unis dans les années 1960. Elles sont très fréquentes dans les groupes qui fondèrent des communautés agricoles, chez les militants antinucléaires et parmi les individus qui « prirent la route », principalement vers l'Asie, rapportant avec eux les modèles du végétarisme indien (comme celui des Jaina, étudié par Marie-Claude Mahias). Soucieux de relations avec le Tiers Monde plus égalitaires, les tenants d'une certaine « vague verte », néo-ruraux et écologistes des années 1970 défendaient aussi un mode d'alimentation sinon végétarien, en tout cas pauvre en produits carnés. Un livre culte de ces années-là fut celui de Frances Moore Lappé, Sans viande et sans regret, traduit en français en 1976.
Au cours de ces mêmes décennies, les nutritionnistes (principalement britanniques et américains) se penchent sur la diététique végétarienne, puis végétalienne, pour connaître les motivations de ses pratiquants et pour déterminer si ces régimes ne conduisent pas à de sévères carences[...]
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Écrit par
- Laurence OSSIPOW : docteur ès lettres, professeur responsable de la recherche au Centre de recherche sociale de la Haute École de travail social de Genève
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