VÉRISME
Le mouvement vériste reste peu connu hors d'Italie, à l'exception de son chef de file Giovanni Verga, que ses compatriotes considèrent comme un des plus grands romanciers du xixe siècle. Les autres véristes, grâce à des traductions nouvelles, recommencent parfois à être lus, que ce soit Federico De Roberto, auteur d'un admirable roman, Les Vice-Rois (I Viceré), dont Lampedusa devait s'inspirer cinquante ans plus tard dans son Guépard, Grazia Deledda, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1926, Luigi Capuana, le théoricien du groupe, romancier de talent, ou Matilde Serao, qui eut en Italie une vogue délirante. Seuls les derniers épigones, D'Annunzio et Pirandello, jouissent d'une gloire internationale, mais ils la doivent d'avoir survécu au vérisme, qu'ils ont, chacun à sa manière, renié ou dépassé. Celui-ci connut une brillante résurgence dans le néo-réalisme qui fleurit en Italie après la Seconde Guerre mondiale.
Naturalisme et vérisme, une filiation contestée
Si les Français ignorent souvent le vérisme et les quelques authentiques chefs-d'œuvre qu'il a produits, ou ne le considèrent qu'a travers son expression musicale, la critique italienne de son côté a fait montre d'un certain provincialisme, pour ne pas dire de chauvinisme, dans ses jugements sur les rapports du mouvement avec le naturalisme. Les uns méconnurent les mérites du naturalisme pour monter en épingle la production vériste, les autres blâmèrent leurs compatriotes de s'être mis à si mauvaise école, ou nièrent toute parenté entre les deux mouvements. Ainsi Carducci : « Le réalisme signifie que nous ne savons plus inventer, imaginer, unifier, et nous prenons pour sommet de l'art la photographie » ; ou Croce, pour qui le naturalisme se confondait avec Zola : « Zola, l'honnête médecin, le docteur Tissot de la société moderne [...] qui était très peu poète [...] s'est borné à copier une réalité qui de nos jours n'intéresse plus personne » ; ou Luigi Russo, qui s'indigne : « Zola aurait été le Messie du nouveau verbe et Verga un modeste acolyte » ; et d'opposer le « tempérament rigoureusement intellectuel » de Zola, « plein de curiosités médicales », au « tempérament lyrique » de Verga. « Zola est un écrivain prosaïque, Verga un prosateur harmonieux ; Zola est médecin, écrit-il, Verga homme », ou encore : « Le naturalisme entraînerait implacablement vers la science. » Selon lui, les véristes ont oublié les recettes scientifiques, les enquêtes et tranches de vie prônées par les naturalistes, pour procéder à une évocation « attendrie » du monde de leur province.
Sans vouloir entrer dans une étude du naturalisme français, qu'il soit permis toutefois de rappeler que cette école fut composée d'un faisceau de tendances fort diverses et parfois contradictoires, que Zola dans la pratique de son art fut le premier à assouplir ce que son manifeste avait de dogmatique et pour tout dire de polémique, voire de publicitaire. Maupassant, dans sa préface à Pierre et Jean, ne va-t-il pas jusqu'à nier la réalité, assimilant le réaliste de talent à l'illusionniste ! Par ailleurs, la froide férocité des portraits de Federico De Roberto (1861-1927), le détachement, feint ou réel, que Verga affecte à l'égard de ses humbles, la curiosité médicale, « clinique », pour employer une expression alors à la mode, de Luigi Capuana (1839-1915) et le dogme de l'impassibilité auquel il resta fidèle, le ton de constat des Nouvelles pour une année (Novelle per un anno) de Pirandello rendent difficilement soutenable la thèse de Russo.
Mais, si le vérisme n'eut point cette éclosion spontanée et fortuitement parallèle au naturalisme français que lui prête la critique italienne, il est vrai que les intéressés eux-mêmes contribuèrent[...]
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Écrit par
- André GAUTHIER : historien d'art et musicologue
- Angélique LEVI : ingénieur de recherche en littérature générale et comparée à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, traductrice
Classification
Médias
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