VÉRITÉ
La réflexion sur la vérité a suscité bien des spéculations philosophiques. D'abord sur sa nature. Deux positions, l'une réaliste, l'autre idéaliste, s'opposent sur ce problème : d'un côté, la vérité se définit par l'adéquation de l'esprit à la chose, avec souvent l'entendement divin comme intermédiaire entre l'entendement humain et les choses mêmes ; de l'autre, la vérité se définit soit par l'accord des esprits, soit même par un caractère plus franchement intrinsèque, chaque vérité n'étant telle que par son rapport systématique à l'ensemble des vérités. Il faut aussi mentionner la théorie pragmatiste qui a fleuri aux environs de 1900 et qui, transformant un critère de la vérité en une définition, définit la vérité par le succès dans l'action qu'elle commande. Une autre grave question est celle du rapport de la vérité aux autres valeurs : est-elle une simple valeur parmi les autres (éthiques, esthétiques, vitales, par exemple) ? Et, alors, quelle est sa place dans la hiérarchie des valeurs ? Ou bien plane-t-elle au-dessus des valeurs, les dominant toutes par l'exigence que soient vrais les jugements que nous portons sur elles ? S'étant borné à signaler ces problèmes d'ordre métaphysique ou axiologique, abordés en d'autres articles, on ne traitera ici le sujet que d'un point de vue logique et épistémologique.
La notion de vérité est ambiguë. On peut parler d'une proposition vraie ; mais on peut parler également de la vérité de son contenu, comme Platon a posé celle des objets hypostasiés en Idées, que vise d'après lui la connaissance.
Une première exigence à remplir pour que la vérité acquière un statut prédicatif a donc été de séparer les noms et les choses. Faute d'une telle séparation, la conception, devenue traditionnelle, de la logique comme science des conditions formelles du raisonnement vrai n'aurait jamais vu le jour.
On s'attachera ici au développement du rapport entre sens et vérité, et on montrera que l'évolution du concept de vérité, qui par sa normativité assure à la pensée son caractère rationnel, est inséparable d'une grammaire de la composition du sens.
Logique
Le sujet de la vérité
« Vérité » ainsi que son antonyme « fausseté » sont des adjectifs substantivés. Ces adjectifs, « vrai » et « faux », ne peuvent être employés proprement que comme prédicats. Quels sont les sujets possibles pour de tels prédicats ? Ils ne peuvent être attribués, en toute rigueur, à des choses, mais seulement à ce que nous pouvons dire ou penser sur les choses ; c'est par extension, et par manière abrégée de parler, que, dans le langage usuel, on leur fait aussi qualifier des choses. Dire « un vrai ami » ou « une vraie crapule » veut signifier que les mots d'ami ou de crapule doivent ici être entendus en leur sens fort, ou encore revient à affirmer que la proposition « c'est un ami » (ou bien « c'est une crapule ») est une proposition vraie. On voit mieux encore ce déplacement du sens avec le faux. Car enfin une fausse joie a bien été réellement une joie, une fausse alerte a tout de même été véritablement une alerte, une fausse note n'en est pas moins une note. Le vrai et le faux ne peuvent s'attribuer proprement qu'à des propositions, en caractérisant celles-ci, ainsi que faisait Aristote, comme « le discours dans lequel résident le vrai et le faux ».
Seulement, le mot même de proposition demande à être précisé. En français, il a le plus souvent un sens grammatical (propositions infinitive, incidente, subordonnée, par exemple), il est lié au langage. Mais il a pris de plus en plus, dans le vocabulaire des logiciens, le sens de « ce qui est proposé », et que le langage a seulement pour fonction[...]
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Écrit par
- Robert BLANCHÉ : professeur honoraire à la faculté des lettres et des sciences humaines de Toulouse
- Antonia SOULEZ : agrégée de l'Université, docteur d'État en philosophie, maître de conférences à l'université de Paris-XII-Val de Marne
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