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VÉRITÉ, mathématique

Intuitionnisme

Le formaliste ramène l'activité du mathématicien à une activité combinatoire, celle de trouver des assemblages de symboles, activité qui possède sa traduction directe dans le monde des objets physiques : une preuve est une inscription physique, et qu'elle soit présente dans la mémoire d'un ordinateur ou sur les pages d'un livre, elle est « dans le monde ». À l'inverse, l'intuitionnisme, né de la pensée de Luitzen Brouwer (1881-1966), conçoit l'activité mathématique comme une activité mentale. Aujourd'hui associé au constructivisme, l'intuitionnisme mathématique est une conception fondée sur le fini des entiers dont l'énumération, en devenir, n'est jamais opérée totalement. Il n'y a pas d'infini actuel pour un intuitionniste, et la suite des décimales du nombre π, par exemple, ne doit pas être considérée comme présente : c'est une potentialité. De cette posture méfiante vis-à-vis de l'infini, l'intuitionnisme déduit que les modes de raisonnement qu'on applique aux objets finis ne peuvent être adoptés sans risque lorsque l'on doit traiter des objets infinis. Le principe du tiers exclu en logique classique affirme que pour tout énoncé A : (A) est vrai ou (non A) est vrai. Il ne peut être accepté par un intuitionniste. En particulier, celui-ci ne peut dire : dans la suite des décimales du nombre π, ou bien (A) : il existe une séquence de cent « 7 » consécutifs ; ou bien (non A) : il n'en existe pas. L'intuitionniste doit se satisfaire de dire : aujourd'hui nous ne connaissons pas de suites de cent « 7 » consécutifs dans π, mais la suite des décimales de π n'étant déployée que partiellement, nul n'est autorisé à affirmer que (A) ou (non A). La vérité mathématique chez les intuitionnistes est pointilleuse et réduite, d'où d'ailleurs son faible succès aujourd'hui.

Le débat philosophique entre réalistes, formalistes et intuitionnistes ne semble pas clos et ne le sera sans doute jamais (c'est la thèse soutenue en 1997 par Mark Balaguer dans Platonism and anti-platonism in mathematics). En revanche, depuis l'élaboration de systèmes formels puissants (en particulier celui de la théorie des ensembles qui peut servir de base générale à toutes les mathématiques comme dans le traité de Nicolas Bourbaki), le mathématicien est dispensé de se préoccuper du problème. Libre à lui, dans son for intérieur, de concevoir la vérité mathématique de telle ou telle façon, l'important dans son travail et les échanges qu'il entretient avec ses collègues est d'écrire des démonstrations qui soient comprises et acceptées. Deux mathématiciens parlant entre eux peuvent échanger des sentiments intimes concernant des énoncés non démontrés, mais chacun sait bien que ce n'est là qu'un bavardage et que ce qui compte vis-à-vis de la communauté des autres mathématiciens est l'existence ou non de démonstrations. Dit autrement : la communauté mathématique a une philosophie pragmatiquement formaliste et, de ce fait, la nature de la vérité mathématique n'est pas un problème pour elle.

— Jean-Paul DELAHAYE

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