VÉRITÉ (notions de base)
Le dévoilement heideggérien
Un autre chemin est ouvert à l’époque de Descartes par Blaise Pascal (1623-1662). Tout en partageant une grande part des thèses relativistes, l’auteur des Pensées découvre en l’homme une aspiration au Vrai qui témoigne de la réminiscence qu’a la créature d’avoir vécu au voisinage de Dieu avant la déchéance entraînée par le péché originel. Une telle aspiration permet au philosophe de renvoyer dos à dos le dogmatisme et le scepticisme, comme il le note dans cette formule :« Nous avons une impuissance de prouver, invincible à tout le dogmatisme. Nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyrrhonisme. » Cette analyse conduit le penseur chrétien à bâtir une philosophie tragique qui inspirera de nombreux penseurs modernes.
Parmi eux se trouve Martin Heidegger (1889-1976), dont on pourrait dire qu’il va « laïciser » les thèses pascaliennes. La puissance de la science nous fait oublier d’orienter notre regard sur le seul être qui interroge le monde et qui s’en étonne. Il convient donc, comme l’avait fait Pascal, mais avec d’autres concepts, d’ancrer dans l’humain tout ce qui relève de la « vérité ». Dès sa première œuvre, Être et Temps (1929), Heidegger note qu’« il “n’y a” de vérité que pour autant qu’il y ait et aussi longtemps qu’il y a un être-là ». « Être-là » (en allemand, Dasein) est le nouveau nom de l’homme, qui se réfère au fait que l’homme est le seul existant ouvert à la vérité. La vérité est « dévoilement », comme le suggérerait le vocable par lequel les Grecs la dénommaient : alètheiaserait ainsi un mot composé du a- privatif et d’un verbe signifiant « cacher ».Alètheia signifierait donc littéralement « retrait du voile », « dé-voilement ». Seuls nous autres humains sommes sensibles à la façon dont les choses viennent vers nous, s’établissent dans la présence, et requièrent que nous leur donnions sens. Il ne saurait, ajoute Heidegger, y avoir de vérité avant ou après l’existence des humains : « Avant que n’était l’être-là et après que l’être-là aura cessé d’être, il n’y avait pas de vérité et il n’y en aura plus, parce que, dès lors, le découvrement et l’être-découvert ne peuvent absolument pas être. »
Ainsi s’opposent, depuis les origines de la philosophie, deux grandes traditions, l’une posant la « vérité » dans un lieu transcendant et intemporel, l’autre réduisant la vérité aux constructions d’un vivant enfermé dans sa sphère comme l’araignée dans sa toile. Alors, métahumaine ou trop humaine, la vérité ?
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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