VERMEER DE DELFT (1632-1675)
L' art de Vermeer touche aisément la sensibilité de l'amateur moderne et le critique peut évoquer son œuvre avec lyrisme et en termes généraux. Cependant, une étude approfondie du contexte historique dans lequel elle se situe en révèle davantage. Il apparaît alors que Vermeer ne fut pas un pionnier, c'est-à-dire qu'il ne forgea pas un style nouveau ni n'introduisit de conceptions révolutionnaires dans la peinture. Tout au contraire : tant son style que ses thèmes sont empruntés à des maîtres de son entourage néerlandais. Son mérite consista à discerner les conséquences d'une vision que d'autres n'avaient fait qu'effleurer ou ébaucher, et il s'employa avec zèle à tirer le plus grand parti des possibilités offertes par la nouvelle méthode. Son purisme est frappant dès ses premiers tableaux d'histoire : dans ce genre inspiré par l'Italie, il fut le seul à suivre directement les modèles italiens. Vermeer ne changeait pas aisément d'orientation artistique et lorsqu'il le faisait, il devait avoir une idée bien précise des résultats qu'il visait à obtenir par ce nouveau parti. Cela explique la concentration dont il sut faire montre pour se limiter constamment à une tâche unique peu variée. Cette qualité aboutit à une maîtrise telle que la perfection à laquelle il aspirait put revêtir dans ses peintures une forme qui donne l'impression du naturel, presque d'une absence d'effort.
Une production restreinte
Jan Vermeer naquit à Delft ; il était le fils d'un tisserand en étoffes de soie, qui possédait en outre une grande maison (Mechelen) avec une auberge sur la place du Marché. Par ses origines, Vermeer appartenait donc à la petite bourgeoisie d'affaires qui constituait l'armature de la république hollandaise du xviie siècle et dont les peintres faisaient aussi partie. À la fin de 1653, Vermeer fut admis dans la guilde des peintres de Delft, ce qui signifie qu'il avait alors fait pendant plusieurs années son apprentissage chez un maître reconnu : sans doute Leonaert Bramer (environ 1595-1674), le peintre le plus choyé de Delft jusqu'au début des années 1650. Lorsque Vermeer voulut prendre épouse et que la mère de la fiancée, qui était plus fortunée que les parents de Vermeer, refusa son consentement, Bramer alla plaider en personne la cause de Vermeer auprès d'elle. Les noces avec Catharina Bolnes eurent lieu peu après, en avril 1653, donc avant la réception de Vermeer à la maîtrise de la guilde. À la mort de son père, en 1655, il emménagea avec sa femme dans la maison Mechelen. Il est possible que Vermeer ait loué l'auberge annexe et en ait tiré un revenu. Il est manifeste en tout cas que Vermeer et sa famille – Catharina donna le jour à quatorze enfants au moins – n'étaient pas exclusivement tributaires de la peinture pour leur subsistance. Des documents établis de son vivant et peu après sa mort font état d'une trentaine de tableaux de sa main. Les trente et quelques tableaux qui sont à l'heure actuelle généralement reconnus comme des originaux de Vermeer peuvent presque tous être identifiés aux œuvres figurant dans ces descriptions anciennes. L'œuvre de Vermeer a donc été conservée presque intégralement. Que la production de l'artiste n'ait pas été très abondante est d'ailleurs parfaitement concordant avec le soin méticuleux et pondéré qu'il apportait à son travail.
Vermeer a certes vendu ses œuvres un bon prix. En 1663, l'aristocrate français Balthazar de Monconys mentionne dans son journal à l'occasion d'un passage à Delft : « À Delphis je vis le Peintre Vermeer qui n'avoit point de ses ouvrages ; mais nous en vismes chez un boulanger qu'on avait payé de six cents livres, quoiqu'il n'y eust qu'une figure, que j'aurois trop payé de six pistoles. » Un client de Vermeer plus[...]
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Écrit par
- Albert BLANKERT : conservateur, Amsterdams Historisch Museum, Amsterdam
Classification
Médias
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