VERMEER DE DELFT (1632-1675)
La stylisation des dernières œuvres
Après avoir exécuté L'Atelier, Vermeer ne pouvait donner forme plus parfaite à son idéal. D'autres maîtres hollandais atteignirent à la même époque des sommets comparables. La prise de conscience de l'incapacité d'aller « plus loin » et de faire « mieux » engendra un sentiment de crise qui se manifesta chez certains par des œuvres tourmentées et violentes, et chez d'autres par des compositions agitées, surchargées. Vermeer, en revanche, se tourna vers la stylisation. Il en résulte que dans Une dame debout au virginal (datation vers 1670, à en juger par le costume), la composition est dépouillée de tous les accessoires rencontrés, par exemple, dans L'Atelier, tels qu'aspérités sur le mur, vêtements, natures mortes. Les parties de lumière et d'ombre sont désormais plus strictement distribuées et plus clairement délimitées. Une rigueur accrue apparaît également dans le dessin des lignes : les plis de la jupe et le profil de l'embrasure de la fenêtre en haut à gauche évoquent les cannelures des colonnes grecques. Les horizontales et les verticales rigides sont mises en évidence. Les transitions très progressives dans le modelé pictural font place à une juxtaposition de petits aplats clairs et sombres. Vermeer adopta ce nouveau style vers 1667. La Lettre d'amour(Rijksmuseum, Amsterdam), qui, pour diverses raisons, doit dater de cette même année, présente déjà les caractéristiques fondamentales de cette manière.
La Dentellière(musée du Louvre, Paris), ressortit également à cette technique tardive. Il est rare de fixer la concentration d'une activité humaine avec une telle intensité. Vermeer y parvint en choisissant comme point focal le visage et les mains de la jeune fille et en excluant du champ de vision tout élément qui aurait pu détourner l'attention de l'occupation tranquille de la dentellière. Ce style tardif est poussé jusqu'à ses conséquences ultimes dans la Joueuse de guitare (Kenwood, près de Londres). Le cadre du tableau à l'arrière-plan rappelle celui d'Une dame debout au virginal, mais par d'autres détails (tête de la guitare) la schématisation est encore plus accentuée. En outre, la musicienne et le tableau au-dessus de sa tête se trouvent à l'extrémité gauche du champ, de sorte que son bras est coupé brutalement par le bord de la toile et que la grande partie à droite est étrangement vide. Le rire sur le visage et l'attitude animée de la jeune fille sont perçus purement visuellement, de l'extérieur ; de ce fait l'aspect figé du personnage et le déséquilibre de la composition suggèrent une tension insolite. Il semble que Vermeer ait voulu délibérément remettre en question et battre en brèche ses aspirations et ses réalisations d'antan.
L'Allégorie de la Foi (Metropolitan Museum, New York) doit dater des toutes dernières années difficiles de l'existence de Vermeer. Cette œuvre n'est pas comme la Joueuse de guitare le « négatif » de ses conceptions, mais elle est extrêmement déroutante. L'allégorie religieuse compliquée, très illogiquement située dans un intérieur hollandais, a sans doute été imaginée par ses coreligionnaires catholiques qui voulaient l'assister dans cette période d'épreuves par une commande.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Albert BLANKERT : conservateur, Amsterdams Historisch Museum, Amsterdam
Classification
Médias
Autres références
-
JAN VAN DER MEER DE DELFT, Théophile Thoré-Bürger - Fiche de lecture
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 1 059 mots
- 1 média
Parmi les nombreux titres qui font de Théophile Thoré (1807-1869) l'un des critiques d'art français les plus importants de la monarchie de Juillet et du second Empire, l'ouvrage consacré à la redécouverte de Vermeer est l'un des plus célèbres. C'est en effet grâce à Thoré qu'un peintre du ...
-
VERMEER (exposition)
- Écrit par Christian HECK
- 1 162 mots
- 1 média
Les œuvres de Johannes Vermeer (Delft, 1632-1675) font tellement partie du paysage des chefs-d’œuvre de la peinture universelle que l’on oublie que cette place au panthéon de l’art est tardive – il s’agit d’une redécouverte du xixe siècle –, mais aussi que ces créations ne représentent...
-
ALLÉGORIE
- Écrit par Frédéric ELSIG , Jean-François GROULIER , Jacqueline LICHTENSTEIN , Daniel POIRION , Daniel RUSSO et Gilles SAURON
- 11 594 mots
- 5 médias
...adopte dès lors un mode purement allusif qui en fait tout le piquant. Or elle marque parfois, non sans ironie, son écart par rapport au mode allégorique. Dans son Atelier (Vienne, Kunsthistorisches Museum), Johannes Vermeer met en scène vers 1666-1667 un modèle féminin déguisé en muse et qui, transfiguré... -
ART (L'art et son objet) - Le faux en art
- Écrit par Germain BAZIN
- 6 715 mots
Une œuvre portera toujours plus ou moins quelque marque du style de l'époque où elle a été faite. C'est ainsi que, parmi les contrefaçons de Vermeer, l'une d'elles, apparue sur le marché vers 1890-1900, évoque le style de Boldini, deux autres, probablement dues à un même auteur et qui n'ont été... -
FABRITIUS CAREL (1622-1654)
- Écrit par Jacques FOUCART
- 842 mots
- 1 média
Fils d'un maître d'école dénommé Pieter Carelsz, Carel reçut sans doute une première formation de menuisier ou de charpentier si l'on en juge par le surnom de Fabritius (Faber) qui était déjà accolé à son prénom en 1641, date de son mariage et de son établissement à Amsterdam....
-
HOOCH PIETER DE (1629-1684)
- Écrit par Françoise HEILBRUN
- 1 493 mots
- 2 médias
Né à Rotterdam dans un milieu assez humble, mort à Amsterdam, Pieter De Hooch est, comme ses contemporains Vermeer et Gérard Ter Boch, le peintre de l'intimité bourgeoise. Selon Houbraken, il a été formé à Haarlem dans l'atelier de Berchem, avec lequel, à vrai dire, son œuvre a peu en commun....