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VERMEER (exposition)

Les œuvres de Johannes Vermeer (Delft, 1632-1675) font tellement partie du paysage des chefs-d’œuvre de la peinture universelle que l’on oublie que cette place au panthéon de l’art est tardive – il s’agit d’une redécouverte du xixe siècle –, mais aussi que ces créations ne représentent pas la direction la plus fréquente de la peinture hollandaise de son temps. Le fait que nous ne conservions qu’une trentaine d’œuvres de sa main a rendu encore plus exceptionnelle l’exposition du Rijksmuseum d’Amsterdam (10 février – 4 juin 2023), qui permettait à la fois de renouveler notre émerveillement devant la magie de ces touches de peinture si particulières, faisant vibrer un instant arrêté dans la vie des êtres et des choses, et de percevoir que le génie de Vermeer est le fruit d’un vrai parcours de peintre. Les analyses scientifiques les plus récentes montrent en effet que ce qui semblerait être une perfection obtenue d’emblée est le fruit d’un lent processus d’essais, de modifications, de repentirs, mais aussi d’une évolution de son art. Dans ses débuts, Vermeer privilégie un lien à la peinture religieuse et mythologique qui favorise aussi les grands formats ; une action qui réunit volontiers un grand nombre de personnages ; une influence des modèles italiens et flamands, en particulier par l’observation des peintres caravagesques (Le Christ chez Marthe et Marie, v. 1655, National Gallery of Scotland, Édimbourg).

L’intime et ses secrets

Les tableaux de sa maturité sont au contraire marqués par une intimité, qui se voit dans le choix de toiles de petites dimensions, centrées sur un personnage seul, le second acteur éventuel – en général une servante, parfois un visiteur – ne jouant qu’un rôle annexe ; dans les thèmes privilégiant des moments personnels, souvent même confidentiels – la lecture d’une lettre –, dont on se doute qu’ils peuvent concerner le lien amoureux, voire l’érotisme à peine voilé ; dans les compositions et les cadrages de scènes d’intérieur, qui ne sont pas largement ouvertes vers nous (comme une boîte dont on aurait enlevé une paroi entière), mais dans lesquelles notre regard pénètre avec discrétion, par l’ouverture d’une porte, souvent même par la grâce d’un lourd rideau qui s’est ouvert pour notre œil complice.

C’est aussi dans sa manière de traiter l’expression de l’espace que l’art de Vermeer est absolument spécifique. Les plans des murs des pièces où se déroulent ces scènes d’intérieur, les encadrements des portes et des fenêtres, les meubles, les tableaux ou les cartes accrochés sur les murs, sont précieux pour établir la solidité d’une perspective géométrique qui construit ces lieux. Alors que certains de ses confrères, tels Pieter Saenredam ou Emanuel de Witte, réalisent cela avec méthode et un systématisme vivant et non rigide, Vermeer n’en retient que le nécessaire, pour s’attacher à un aspect essentiel : l’expression, par le pinceau, d’une vie profondément sereine dans une lumière vivante. Les acteurs de ces scènes nous touchent, car ils éveillent en nous la perception la plus réelle possible à travers l’ouïe, par les instruments de musique si présents ; le toucher, par les doigts posés sur une lettre ; le goût, par le verre de vin qui atteint l’instant où la première gorgée coule dans le palais ; et bien sûr la vue, par le regard intériorisé du personnage plongé en lui-même. Un regard souvent partagé entre deux acteurs, parfois tourné vers la lumière naturelle qui fait irruption ou qui se pose sur les objets. Même les vues de ville portent, paradoxalement, ce sentiment d’intériorité, où la couleur et la lumière ne sont pas séparées (Vue de Delft, 1658-1660, Mauritshuis, La Haye).

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

Classification

Média

<em>La Liseuse</em>, J. Vermeer - crédits : Gemaldegalerie, Dresden/ Content_DFY/ Aurimages

La Liseuse, J. Vermeer