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VERMEER (exposition)

Un art de la révélation

<em>La Liseuse</em>, J. Vermeer - crédits : Gemaldegalerie, Dresden/ Content_DFY/ Aurimages

La Liseuse, J. Vermeer

Vermeer n’a pas peint de vraies natures mortes en soi – on le regrette – mais il sait poser sur une table une coupe en céramique de Delft, dans laquelle chacun des fruits est rendu dans une texture différente, le tout arrêtant la lumière dans un éclatement qui donne à chaque objet densité et plénitude. Cette profonde vérité du monde, dans sa matière même, porte à travers elle une vérité spirituelle, dans l’expression d’une morale qui n’est pas sociale mais qui convoque tout l’être. Dans La Liseuse (1657-1659, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde), le contenu de la lettre que lit la jeune femme est évidemment intime, mais il est triplement révélé au monde par la tenture verte du premier plan, écartée pour que nous puissions participer à ce moment ; par la fenêtre largement ouverte, les carreaux de la vitre formant miroir qui renvoie le jeune visage à la vue du voisinage ; enfin, par le grand tableau accroché sur le mur du fond, un Cupidon appuyé sur son arc mais qui, pour une fois, n’est pas caché ni sournois, car les masques sont tombés à terre et piétinés. La leçon est claire : l’amour vécu en franchise n’a pas à se dissimuler, il n’est pas honteux mais en conformité avec la pureté d’un moment juste et partagé.

De la même manière que le pinceau magique de Vermeer fait de chaque élément du monde visible, par la vibration d’une touche qui irradie de la lumière qui la pénètre, un écho d’un monde invisible qui le dépasse et le nourrit, les actes de la vie quotidienne font l’objet d’une double lecture : réaliste, composée de fragments de moments concrets, mais aussi allégorique. Si La Femme à la balance (vers 1663, National Gallery of Art, Washington) tient cet objet, c’est bien pour peser ses bijoux ; mais c’est aussi pour méditer sur la vanité des valeurs du monde, la balance renvoyant directement au Jugement dernier du grand tableau visible à l’arrière-plan, et donc à la pesée des âmes. Depuis le mur du fond, le Christ du Jugement apparaît au-dessus du visage de la jeune femme, qui a renoncé à vérifier son apparence dans le miroir qui pourtant est face à elle, pour se laisser toucher par l’impermanence des choses.

Loin de l’art narratif de la plupart de ses contemporains, à l’opposé de toute anecdote et réussissant à exprimer l’essence d’un instant vécu, la peinture de Vermeer est intemporelle. Et parce qu’elle porte cette saveur si particulière, c’est une peinture de poète. Ce n’est pas un hasard si des poètes et des écrivains ont tant fait pour la redécouvrir et l’exalter. Qu’il nous suffise de penser à Proust, ouvert à cette peinture silencieuse en accord avec sa propre littérature, dans laquelle, comme chez Vermeer, l’art nous fait entendre le silence.

— Christian HECK

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

Classification

Média

<em>La Liseuse</em>, J. Vermeer - crédits : Gemaldegalerie, Dresden/ Content_DFY/ Aurimages

La Liseuse, J. Vermeer