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VERS LIBRE

Bien avant d'être nommément « vers libre », le vers français s'est souvent autorisé la variabilité métrique. Il s'agissait des « vers irréguliers », ceux dont parle La Fontaine dans un Avertissement à ses premiers contes : « L'auteur a voulu éprouver lequel caractère est le plus propre pour rimer des contes. Il a cru que les vers irréguliers ayant un air qui tient beaucoup de la prose, cette manière pourrait sembler la plus naturelle, et par conséquent la meilleure. »

Un siècle plus tard, il n'est pas indifférent qu'à l'aube du romantisme on traduise si volontiers nombre de textes de littératures étrangères, souvent exotiques même, soit en prose, soit en un vers « libre » avant la lettre. On retrouve les traces de cette préférence jusque dans le choix de poèmes orientaux que Victor Hugo tient à joindre aux « Notes » de ses Orientales, le souci étant de ne pas trop « franciser » ces perles d'Orient.

Pour s'accomplir vraiment, la subversion radicale de la régularité métrique doit passer par toute une série de manifestations d'irrévérence : contestation hugolienne de la raideur de l'alexandrin, dans l'usage même de l'alexandrin (césure de position variable, unités sémantiques décalées par rapport aux limites du vers, etc.). Dans le sillage de Victor Hugo s'engouffrent bientôt la plupart des poètes, Rimbaud le jongleur prodigieux (Marine, Mouvement), Verlaine qui assouplit par l'impair, Corbière ou Laforgue, maîtres d'un vers accidenté, Mallarmé qui force la syntaxe...

Tout comme son allié en « modernité » le poème en prose, le vers libre naissant s'affirme libérateur, fruit d'une nécessité profonde : le rythme du vers ne doit pas être donné une fois pour toutes au poème, il doit être en mesure de s'adapter aux mouvements de l'esprit et en devenir, vers à vers, le symbole.

En 1886, Laforgue traduit, en vers libres, imitant la forme originale, deux poèmes de Walt Whitman : One's-Self I Sing (Dédicaces) et O Star of France (Ô Étoiles de France). Plusieurs poètes, au même moment, s'engouffrent dans la brèche : Francis Vielé-Griffin, Émile Verhaeren, Gustave Kahn... Chacun forge individuellement ses propres « règles » du vers libre, si l'on peut se permettre cette contradiction. Gustave Kahn lui-même, dans la réédition de ses Palais nomades (1897, 1re éd. 1887), songe à formuler quelques principes assez simples : l'étendue du vers est déterminée par le sens (enjambement déconseillé), ce qui est au bout du compte une recommandation des plus « classiques » ; en revanche, compter l'e muet devant une consonne à l'intérieur d'un vers devient facultatif ; on préfère l'assonance éventuelle à la rime, pour cause de discrétion et pour mieux disséminer dans le vers tout entier les récurrences phonétiques ; la dimension de la strophe, comme celle du poème entier, suit les mêmes lois que celle du vers : c'est le sujet du poème qui en décide.

On peut considérer que le Mallarmé d'Un coup de dés..., une fois encore, déborde largement la question du vers libre en ceci que le blanc fait son apparition dans le poème comme élément constitutif.

Dès lors, la voie est tracée. Pour Cendrars, pour Apollinaire, pour Reverdy, la forme nouvelle accompagne l'explosion de la « modernité » poétique, tandis que le verset de Claudel, fondé sur le souffle qu'il pensait retrouver dans le verset biblique, ou celui de Saint-John Perse sont peut-être eux aussi un avatar du vers libre.

Walt Whitman s'insurge contre les « formes anciennes », qu'il convient de libérer une fois « importées en Amérique » en vue d'exprimer « la puissance et la passion les plus vraies ». Quant à la poésie allemande, Gottlieb Klopstock est le précurseur du vers[...]

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