VERS
Le romantisme et la désarticulation du vers
Les règles de versification et la naissance de formes fixes ouvrent au xixe siècle une période de renouveau pour le vers. Si l'école romantique conserve le principe du syllabisme, la rime et l'interdiction de l'hiatus, elle prône en revanche un assouplissement du vers. Victor Hugo indique ainsi une façon de désarticuler l'alexandrin en substituant un rythme ternaire à l'habituelle structure binaire, créant un vers « plus ami de l'enjambement », « sachant briser à propos et déplacer la césure » (Préface de Cromwell, 1827) : « Toi, calme et belle, / / moi, violent, / / hasardeux. » (Hugo, Hernani, III, 4).
De même, la coïncidence entre le vers et la syntaxe n'est plus nécessairement respectée : « Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourire / Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux » (Hugo, Les Chants du crépuscule).
Ce phénomène de discordance crée un enjambement, c'est-à-dire un débordement de la syntaxe hors des limites du vers, sans mise en valeur d'un élément particulier. Ce dernier point permet de le distinguer du rejet, qui désigne un élément syntaxique court excédant les limites de l'hémistiche ou du vers : « Ce royaume effrayant, fait d'un amas d'empires, / Penche. » (Hugo, Ruy Blas, III, 2).
Il permet aussi de le distinguer du contre-rejet, qui désigne un élément syntaxique bref, débutant avant la fin du vers ou de l'hémistiche : « C'est la dernière fois que je l'ai vu. Depuis, / J'y pense très souvent. » (Hugo, Ruy Blas, II, 1).
Si l'école romantique assouplit le vers, il faudra attendre le vers libre pour que soient critiqués les principes du syllabisme et de la rime. Ceux-ci commencent par une remise en cause de l'alternance traditionnelle entre rimes féminines et masculines : « Écoutez la chanson bien douce / Qui ne pleure que pour vous plaire. / Elle est discrète, elle est légère, / Un frisson d'eau sur de la mousse. » (Verlaine, Sagesse).
De même, la diérèse et la synérèse subissent des modifications. Les évolutions phonétiques font peu à peu oublier l'étymologie sur laquelle se fonde le compte des syllabes et seront laissées à la discrétion de l'auteur. Enfin, l'-e caduc peut s'élider derrière une voyelle ; l'-e caduc devant une consonne n'est plus nécessairement prononcé : « J'connaîtrai jamais le bonheur sur terre » (Raymond Queneau, L'Instant fatal, 1946).
Ces changements n'ont, toutefois, été que les premiers pas menant au « vers libre », qui remet en cause à la fois rime et rythme. La nécessité de rimer ne semble plus, en effet, déterminer le vers, non plus que le décompte des syllabes : « La terre est bleue comme une orange / Jamais une erreur les mots ne mentent pas / Ils ne vous donnent plus à chanter / Au tour des baisers de s'entendre / Les fous et les amours / Elle sa bouche d'alliance » ( Paul Éluard, L'Amour, la poésie, 1929).
On constate dans cet extrait l'hétérométrie des vers, ainsi que l'absence de rimes, remplacées par des assonances en [ã] et en [u]. Toutefois, le vers libre n'a pas remplacé le vers syllabique ; la rime ne s'est pas effacée. Les formes traditionnelles voisinent donc avec les formes nouvelles, s'enrichissant mutuellement de leur confrontation.
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Écrit par
- Elsa MARPEAU : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de lettres modernes, docteure en lettres modernes et en arts du spectacle
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