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VERTIGO, film de Alfred Hitchcock

L'engendrement de la figure

Comme tous les grands films de la maturité de Hitchcock, celui-ci doit sa réussite d'abord à une idée de scénario saisissante : le retour de la « morte » – de même que, dans La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959), l'espion forgé de toutes pièces, dans Les Oiseaux (The Birds, 1963), l'improbable attaque des corneilles, dans Psychose (Psycho, 1960), la découverte que la mère n'existe pas. Tous ces films mènent le spectateur de surprise en surprise, ressort premier du cinéma de Hitchcock. Mais si ce dernier a pu se vanter par la suite d'avoir su « faire de la direction de spectateurs », c'est qu'il mobilise avant tout des moyens purement cinématographiques.

L'image du cinéaste est souvent associée à une atmosphère énigmatique ; pourtant il s'est toujours moins intéressé à l'énigme de ses scénarios (le « whodunit » : qui est le coupable ?) qu'à leur part de fondamental mystère. Dans La Mort aux trousses, l'explication finale (les microfilms cachés dans la statuette) est de peu d'intérêt, l'essentiel restant l'impossibilité où est le héros de prouver son identité – c'est-à-dire une aventure d'ordre ontologique. Plus manifestement encore, la fable des Oiseaux demeure définitivement opaque. Dans Sueurs froides, si toutes les questions reçoivent une réponse, on n'en reste pas moins sur une impression d'incertitude absolue : Scottie a-t-il aimé Madeleine ? a-t-il aimé Judy ? est-il responsable de leur mort ? Il n'est pas étonnant que ce soit à partir des films de cette époque que Hitchcock ait commencé à être perçu comme un métaphysicien, et ses films comme des œuvres largement symboliques, dont le scénario est relativement secondaire.

Longtemps diffusé de manière quasi clandestine entre sa sortie et sa restauration, dans les années 1990, Sueurs froides a été pour toute une génération un film mythique, dont plusieurs scènes ont fait l'objet d'un culte parmi les cinéphiles (la fausse noyade sous le pont du Golden Gate, le baiser devant le carrousel, l'apparition de Judy déguisée en Madeleine dans la lumière verdâtre de l'hôtel). Aussi bien, Hitchcock est-il un cinéaste de la scène, et ses films, depuis toujours, une succession prodigieusement habile de scènes expressives. De tous les grands auteurs de sa génération, il est sans doute le meilleur technicien, ou en tout cas, celui qui s'intéresse le plus aux possibilités offertes par la technique, et les maîtrise parfaitement. Sueurs froides comporte plusieurs morceaux de bravoure de réalisation difficile (la représentation du vertige dans l'escalier du clocher, le baiser devant le décor tournant), mais un épisode plus simple, comme la rencontre de la fausse Madeleine par Scottie dans un restaurant, est une merveille de mise en scène, le jeu des raccords de regards y étant aussi leurrant que sophistiqué.

L'idée du vertige est associée dès le générique à la spirale que dessinent tant l'escalier du clocher que la coiffure de la femme – par laquelle le héros la perçoit d'abord comme le détail qui scellera son destin. Sans avoir le temps de s'y attarder, l'œil est entraîné dans un basculement, inapparent au premier abord, mais essentiel pour exprimer le trouble de l'histoire, telle la « figure dans le tapis » de Henry James. Pour cette parfaite correspondance entre le thème du film et sa figure visible mais cachée, c'est le plus hitchcockien des films.

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

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  • HERRMANN BERNARD (1911-1975)

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    ...Psycho (Psychose, 1960), l'ambiguïté majeur/mineur de cet accord figure parfaitement la schizophrénie du personnage principal. Également présent dans Vertigo (Sueurs froides, 1958), cet accord résume toute la dialectique hitchcockienne du dehors et du dedans, du normal et du pathologique.