BLASCO IBÁÑEZ VICENTE (1867-1928)
L'échec d'une réussite
C'est ainsi qu'un divorce apparut chez Blasco Ibáñez, à la fin de sa vie, entre la réussite personnelle et la fidélité aux intentions premières. Il évolua constamment vers une prise de conscience plus large du monde qui l'entourait. Spontanément, il dépassa un certain populisme, avant-coureur du roman social qui apparaîtrait bientôt, poussé par la force créatrice qui l'animait ; il écrivit des cycles romanesques ; il rêva d'épopée (Les Argonautes, 1914 ; À la recherche du Grand Khan, Le Chevalier de la Vierge, posthumes), attiré toujours davantage et comme hypnotisé par le continent américain, par les grandes forces, par les larges mouvements qui déterminent l'histoire humaine.
Son succès d'écrivain l'entraînait dans le même sens : Blasco était doué d'une puissance descriptive à la mesure des continents et des épopées, à la mesure des foules ; son style évocateur connaît tous les ressorts de la séduction, depuis la couleur, dont il s'enivre, jusqu'aux nuances d'un spiritualisme sensuel qui pénètre le lecteur (à moins, suivant la mode et le goût personnel, qu'il ne l'arrête). C'est ce pouvoir d'évocation et de séduction qui lui valut sa popularité. C'est lui, sans doute, qui expliquerait pour une bonne part l'attitude des générations nouvelles, qui le lisent comme un classique du xixe siècle, qui l'admirent ou le critiquent, mais l'éloignent. L'œuvre est inégale : robuste, enthousiaste, à l'image de son créateur, faible et décevante aussi, lorsque l'impulsion vivante le cède au métier et à la rhétorique.
Il faut considérer qu'au temps où Blasco terminait sa carrière d'écrivain un Unamuno multipliait les expériences pour renouveler la technique romanesque, qu'un Pérez de Ayala illustrait dans ses œuvres des formules modernes, originales. Blasco Ibáñez, lui, n'a rien bouleversé dans l'esthétique du roman. Ce qu'il tenait à dire, c'était une conviction ; il l'a dite dans une rhétorique ancienne, même quand l'objet était nouveau. Est-ce bien pour cette raison que Torrente Ballester, dans la seconde partie, « Anthologie », de son anorama de la littérature espagnole contemporaine (1961), omet de lui accorder l'échantillon qu'il accorde à Emilia de Pardo Bazán ? Le public qui continue à le lire prouve cependant ou bien que le style ne se limite pas aux mérites formels, ou bien que les thèmes traités par Blasco conservent une actualité suffisante pour que le lecteur accepte, parfois, les insuffisances d'un art vieilli.
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Écrit par
- Eutimio MARTÍN : lecteur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice
- René PELLEN : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur d'État, maître assistant à l'université de Poitiers
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Média