HUGO VICTOR (1802-1885)
Le dessinateur
On estime aux alentours de trois mille (en tenant compte des œuvres perdues mais connues par des reproductions ou des références et en comptant séparément celles qui appartiennent à des recueils, carnets, albums, etc.) le nombre des dessins de toutes dimensions et de toutes techniques laissés par Victor Hugo, nombre considérable pour un homme qui avait, comme il le rappelait lui-même, « autre chose à faire ». Conservés, pour plus des deux tiers, à Paris, à la Bibliothèque nationale, à laquelle Hugo légua « tout ce qui sera trouvé écrit ou dessiné par moi », et à la Maison de Victor Hugo, ils se répartissent entre des vues de paysages et de monuments, dont un grand nombre de notes de voyages, une masse de croquis d'inspiration comique ou grotesque, qui ne sont pas tous à proprement parler des « caricatures », et des travaux plus délicats à situer parmi les catégories artistiques du temps, qui semblent surtout relever de l'expérimentation technique sans être pour autant vides de sens : taches d'encre plus ou moins reprises, découpages souvent utilisés comme pochoirs, empreintes de tissus ou d'éléments naturels, et toutes sortes de caprices graphiques. Ces pratiques alors peu orthodoxes, tout au moins chez les peintres de profession, sont également utilisées dans des dessins de facture plus traditionnelle, au lavis d'encre parfois relevé de fusain, de gouache ou d'aquarelle. Beaucoup d'autres sont simplement à la plume ou au crayon.
Le tout forme un œuvre assez homogène, qui commence vers 1825 (mis à part les dessins d'enfant) par des pages au graphisme un peu grêle, et met une vingtaine d'années à trouver son répertoire et son style. Proche de l'imagerie romantique par le goût du pittoresque et la recherche d'effets dramatiques, il la dépasse par son dynamisme, sa liberté de moyens et un sentiment du mystère d'une profondeur exceptionnelle. Pendant trente ans, à partir de 1845 environ, ces traits dominants subsistent sans grands changements, tandis que la production se poursuit à un rythme irrégulier, se faisant parfois plus intense dans les pauses de l'écriture (1850), gagnant en fluidité à Jersey et à Guernesey, devant le spectacle du ciel et de l'océan, renouant dans les années 1860 avec la veine pittoresque et satirique des débuts, et s'épuisant, comme la production littéraire, après 1875-1877.
Œuvres d'un écrivain célèbre, les dessins de Hugo ne tardèrent pas à susciter la curiosité, et, dès 1852, Théophile Gautier déclarait : « Victor Hugo, s'il n'était pas poète, serait un peintre de premier ordre. » Gautier parle aussi de « cauchemar » au sujet d'un grand dessin de 1850, tandis que, sept ans plus tard, Baudelaire oppose à la platitude de la peinture contemporaine de paysage « la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo, comme le mystère dans le ciel ». De Huysmans à Claudel et à Breton, de Van Gogh à André Masson, de Gustave Geffroy à Henri Focillon et à Gaëtan Picon, cette prédominance du fantastique, le trouble qu'elle inspire au spectateur ont été fréquemment soulignés par des écrivains et des peintres doués d'une personnalité forte. Mais d'autres, plus conservateurs, soumettent les dessins de Hugo aux vieux critères académiques, soit pour déplorer leur caractère irréfléchi et leur manque de maîtrise technique (« il faut des journées de travail et de réflexion » pour transformer un lavis « peut-être inspiré » en « tableau digne de ce nom », observe André Lhote dans son Traité du paysage), soit au contraire pour promouvoir leur auteur au rang de « véritable artiste ». Il s'agit en somme de normaliser des créations passablement aberrantes. Ce point de vue transparaît longtemps dans le choix des exemples retenus pour la reproduction, qui[...]
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Écrit par
- Pierre ALBOUY : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
- Pierre GEORGEL : conservateur en chef du Patrimoine
- Jacques SEEBACHER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII
- Anne UBERSFELD : ancienne élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III
- Philippe VERDIER
: professeur émérite, université de Montréal,
Kress Fellow , Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada
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