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SEGALEN VICTOR (1878-1919)

Les histoires de la littérature, les anthologies qui citent Segalen lui font une place entre Claudel et Saint-John Perse, grâce aux poèmes en prose de Stèles, publiés en 1912 à Pékin. La publication, en un seul volume préfacé par Pierre Jean Jouve, de Stèles, Peintures et Équipée, l'attention enfin portée sur Les Immémoriaux, roman d'ethnographe d'une rare qualité, et sur René Leys, faux roman qui est un pur chef-d'œuvre, enfin la parution accélérée de nombreux inédits (La Grande Statuaire chinoise, Le Fils du Ciel, Imaginaires, les journaux de voyage, les écrits autour de Gauguin et Tahiti) permettent une approche neuve. Devant l'œuvre considérée en son entier, ou presque, l'originalité, la profondeur et la diversité de ce qu'apporte Segalen ne font plus de doute.

Médecin, poète, archéologue, « romancier » et voyageur, Segalen a mêlé l'exploration du lointain (comme Tahiti et la Chine) à la quête intérieure ; il a confronté sans cesse le réel et l'imaginaire, dont le corps à corps l'a usé. L'interrogation qui hante Segalen est proche de celle qu'il énonce en ces termes, à propos de Rimbaud : « Et pourra-t-on jamais concilier en lui-même ces deux êtres l'un à l'autre si distants. Ou bien ces deux faces du Paradoxal relèvent-elles toutes deux d'une unité personnelle plus haute, jusqu'à présent non manifestée ? »

Les voyages et les œuvres

Comme il le dit lui-même un mois avant sa mort, Victor Segalen a vécu au prix d'une « usure sans réparation ». On comprendra ainsi qu'il n'ait pas eu le temps (à supposer qu'il en ait eu le goût) d'édifier pour la postérité littéraire son propre monument. Quand il meurt, à quarante et un ans, dans la forêt de Huelgoat, Hamlet à la main, il n'a publié sous son nom que Stèles (1912) et Peintures (1916) ; Les Immémoriaux (1907) ont paru sous le pseudonyme de Max Anély. Cependant, l'œuvre est abondante, ambitieuse, essentielle par la recherche qui l'anime. Elle a été écrite, en quinze année au cours des voyages qu'il avait entrepris pour se trouver lui-même, en se méfiant de la littérature. Segalen confie, au moment même où il entreprend l'étude du chinois : « [...] j'attends beaucoup de cette étude, en apparence ingrate ; car elle me sauve d'un danger : en France, et mes projets actuels menés à bout, que faire ensuite, sinon de la littérature ? »

Avant ce tournant capital, Segalen, natif de Brest, avait fait ses études de médecine, à Bordeaux, et publié sa thèse, Les Cliniciens ès lettres, dans laquelle il essayait de concilier plusieurs aspirations ; son goût pour la musique (il écrira plus tard un Orphée-Roi pour Debussy, paru en 1921) lui avait révélé sa vocation artistique. Puis, comme médecin de la marine, il avait séjourné à Tahiti, en 1903 et 1904, juste après la mort de Gauguin. La moisson de ce voyage, ce sont Les Immémoriaux, c'est-à-dire le récit des derniers moments de la civilisation maorie, contaminée, perdue par les missionnaires et les colonisateurs. Segalen s'insurge contre ce massacre, comprend en profondeur le drame d'une ethnie que l'on prive de ses mythes et de sa langue. En même temps, c'est sa propre vision du réel qui prend forme.

Cependant, c'est la Chine qui va fournir à Segalen les moyens de s'explorer lui-même ; c'est de Chine qu'il rapporte ses œuvres majeures, fasciné par cet espace énorme, et par l'image du Fils du Ciel : l'empereur, mais aussi l'homme écartelé entre le présent et le passé, soi-même et l'autre, la terre et le ciel. Mais qu'on ne cherche pas dans cette œuvre un plaisir documentaire, ou des intrigues sur fond oriental : Segalen avait en horreur tout « sujet », et méprisait l'exotisme littéraire à la Loti. C'est sa Chine qu'il peint, « le paradis mythique de sa poésie[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres classiques, chargé de cours à l'université de Nanterre, écrivain

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