SJÖSTRÖM VICTOR (1879-1960)
On doit à Charles Magnusson, directeur de la Svenska, d'avoir engagé les deux artistes qui devaient conférer au cinéma suédois ses lettres de noblesse et son label esthétique : Stiller et Sjöström. En passant du théâtre au septième art, ce dernier avait saisi la nécessité de rendre plus naturel le jeu de l'acteur du cinéma, aussi bien que d'insuffler aux personnages « une vie simple et vraie ». À partir de 1912, metteur en scène en même temps qu'interprète, il réalisa une cinquantaine de films, de valeur inégale, mais qui dotèrent l'école dite suédoise de ses thèmes comme de son style. Le moralisme social d'Ingeborg Holm (1913) ressort d'une observation rigoureusement réaliste ; La Troisième Voie (Terje Vigen, 1916) marque un jalon important : outre le recours à la grande littérature — ici Ibsen, plus tard Selma Lagerlöf, Hjalmar Bergman, Grillparzer —, le rôle de la nature s'y révèle primordial : fusion entre les sentiments et les paysages qui les reflètent, les symbolisent ou les marquent, sorte d'échange permanent entre la terre et l'âme nordiques. L'année suivante, Les Proscrits (Berg Ejvind och Hans Hustru) révèlent chez l'auteur un sens subtil de la lumière ainsi qu'une maîtrise croissante dans l'utilisation des noirs et des blancs, que Dreyer et Bergman porteront à sa perfection. La Charrette fantôme (Körkarlen, 1920), dont on ne possède qu'une version amputée, souffre de l'emploi abusif de la surimpression, procédé primaire et suranné, ficelle pour traduire l'invisible ; le film n'en témoigne pas moins d'une dominante essentielle du cinéma nordique : l'accord fondamental entre le mysticisme et un réalisme quasi documentaire ; l'épaisseur du réel y sert de tremplin à l'expression d'un au-delà fantastique ou surnaturel. Aux États-Unis, où il émigre en 1923 en prenant le nom de Seastrom, le maître suédois ne perd ni le style ni la veine originale de ses meilleures réalisations. La Tour des mensonges (The Tower of Lies, 1926) transpose L'Empereur du Portugal de Selma Lagerlöf, La Lettre rouge (The Scarlet Letter, 1926) le roman de Hawthorne : le thème de l'écartèlement puritain, l'obsession de l'intolérance ne pouvaient laisser Sjöström indifférent. Le dépouillement extrême de l'action, la violence des caractères et surtout la présence obsédante de l'élément naturel confondu avec le souffle lyrique confèrent au Vent (The Wind, 1928) une puissance de séduction et une force d'envoûtement que le temps n'a pas émoussées.
Rentré en Suède en 1930, Sjöström se consacra surtout à l'interprétation. Le rôle du noble vieillard lui seyait (le Seigneur des Verts Pâturages), mais aussi celui du vieil homme orgueilleux et tourmenté qu'il incarna dans la première version de Ordetréalisée par Gustaf Molander et dans L'Empereur du Portugal, remake du même auteur. Son interprétation magistrale du héros des Fraises sauvages de Bergman en 1958 fit connaître au grand public le pionnier déjà oublié du cinéma muet.
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Écrit par
- Hubert HARDT : professeur honoraire, critique de cinéma
Classification
Média
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