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VICTORIA ou VITTORIA TOMÁS LUIS DE (1548 env.-1611)

Le lyrisme polyphonique

Même si l'œuvre de Victoria n'a pas l'ampleur de celle de beaucoup de ses contemporains, elle atteint des sommets rarement égalés, en raison de sa qualité. On peut citer ses vingt et une messes (de quatre à douze voix), quarante-quatre motets (de quatre à huit voix), trente-cinq hymnes, des psaumes, des litanies, des antiennes (Magnificat). On détachera de ce répertoire, où ne figure aucune œuvre profane, l'Officium defunctorum (à six voix) et l'Officium hebdomadae sanctae (de quatre à huit voix, 1585), offices qui constituent « l'œuvre la plus monumentale, la plus artistique, la plus émouvante et la plus sublime parmi celles qu'a produites la polyphonie sacrée a cappela pour chanter la vie douloureuse du Christ et l'espérance que suscite dans l'âme du croyant sa résurrection » (H. Anglés).

Cet ensemble comprend quasiment toutes les pièces liturgiques qui sont chantées du dimanche des Rameaux au Samedi saint inclus. Les formes ne sont, certes, pas originales, puisque imposées par la tradition liturgique catholique (antiennes, leçons, répons, hymnes, impropères, passions), mais Victoria leur insuffle, dans l'esthétique du motet principalement, sa vision personnelle du traitement contrapuntique expressif, déjà fortement marqué par ce que l'on appellera plus tard le madrigalisme. Dans les passions notamment, le récitatif conserve une grande liberté d'accents, où son imagination fertile de musicien, associée à sa profonde croyance de prêtre, chante le mystère de la Rédemption avec un art que n'influence aucune distraction profane. Certes, Victoria utilise la technique de la parodie, mais il choisit toujours ses modèles dans le domaine sacré et il les traite avec une originalité, un sérieux, qui ne peut qu'inviter à la méditation.

Les trois messes mariales (Salve Regina, Alma Redemptoris, Ave Regina, 1600) sont écrites pour deux chœurs avec accompagnement d'orgue. Quant à la Missa pro victoria (1600), elle est écrite en style concertant, fait très exceptionnel pour l'époque. À l'instar des polyphonistes espagnols à l'apogée du contrepoint vocal (tels Cristóbal de Morales, Francisco Guerrero, Pedro Escobar, Francisco Peñalosa, Pedro Alberto Vila, Rodrigo Ceballos), Victoria manifeste un expressionnisme musical raffiné, qui le distingue nettement de l'austérité plus apparente d'un Lassus ou d'un Palestrina. Des Espagnols, il conserve l'amour de formes simples et naturelles, délaissant quelque peu la manière des musiciens franco-flamands amateurs de contrepoint aux très savants entrelacs. À l'image de Palestrina, il suit la voie de l'école romaine d'après le princeps musicae, non sans s'écarter de sa rigueur pour y inscrire une émotion hispanique plus chaude.

Victoria est un visionnaire, un mystique et un passionné (O vos omnes, Jesu dulcis memoria, Tenebrae factae sunt, Veni Sponsa Christi, O quam metuendus, Senex puerum portabat), mais aussi un poète qui sait charmer ou réjouir (O quam gloriosum est regnum, pour la fête de la Toussaint). Il est bien le contemporain des mystiques et des spirituels espagnols, qu'ils soient écrivains ou peintres. Il est aussi classique de confronter Palestrina et Victoria que de comparer Corneille et Racine. Si l'objet religieux, la technique du contrepoint et l'esthétique formelle sont semblables chez les deux compositeurs, les moyens expressifs, le climat affectif et la finalité dernière diffèrent considérablement. Victoria est un pathétique et il pénètre bien plus au fond de l'inconnaissable que le maître romain. « L'amour, la dévotion, la ferveur, la contrition et l'angoisse du pécheur, l'espérance, la compassion et l'extase, tout ce qui anime le cœur d'un croyant se manifeste dans la musique de Victoria comme dans la poésie de sainte Thérèse, sans nul souci d'attitude, sans nul[...]

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Écrit par

  • : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien

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