SARDOU VICTORIEN (1831-1908)
Né dans une famille d'origine niçoise, d'un père professeur et passionné de lexicographie, Victorien Sardou fait lui-même de solides études et se consacrera sa vie durant à des recherches d'histoire érudites, en particulier sur Paris, ses monuments et ses musées. Ce goût secret illustre la diversité des talents de celui qu'on prendrait à tort pour un simple amuseur public. Après une première pièce, La Taverne des étudiants, en 1854, qui fut un échec, Sardou se marie avec Mlle Moisson de Brécourt, alors pensionnaire de l'Odéon ; du même coup il épousait le théâtre. En effet son existence ne fut plus qu'une longue suite de succès. Les Premières Armes de Figaro en 1859 et surtout Pattes de mouche, joué au Gymnase en 1860, établissent durablement une réputation qui ira grandissant et n'aura pas attendu Madame Sans-Gêne (1893) pour devenir célébrité. Les plus fameux acteurs voudront l'interpréter : Réjane, Sarah Bernhardt, Coquelin, Lucien Guitry. Dès 1877 il est élu à l'Académie française.
Dans l'étonnante abondance de sa production — une centaine de pièces —, ce qui frappe, c'est la variété. Aucun genre théâtral ne le rebute : de la comédie d'intrigue, légère et bien menée (Pattes de mouche), au drame à grand spectacle (Patrie !, 1869), ou à la tragédie (La Tosca, 1887). Dans Rabagas (1872) il s'adonne à la satire politique contre la Commune et contre Gambetta. Dès le dépôt du premier projet de loi sur le divorce il écrit Divorçons (1880), pièce comique à la façon de Labiche. Il conçoit pour Sarah Bernhardt de grandes pièces antiques, Fédora (1882) ou Théodora (1884). Madame Sans-Gêne est à la fois une comédie de mœurs et un essai de reconstitution historique. Dans Maison neuve (1867) il se montre un observateur attentif et clairvoyant de l'évolution sociale et économique de la fin du second Empire ; il jette d'ailleurs, parfois, sur le monde qui l'entoure, le regard de Balzac ou celui de Flaubert. En 1885, il s'associe avec le librettiste L. Gallet pour transformer Patrie ! en opéra ; et c'est de sa Tosca que s'inspire l'opéra de Puccini. Tandis que continue de triompher, avec Les Ganaches (1862), Les Vieux Garçons (1865), ou La Famille Benoîton (1865) bien des fois rejouées, son art du vaudeville.
Par une activité où il se dépense sans compter et qui ne se borne pas au cadre de son œuvre, il anime toute la vie théâtrale de son époque : ainsi il reconnaît et soutient Henry Becque à ses débuts. Et, loin de s'endormir sur les lauriers de la gloire, il s'engage de plus en plus profondément dans la fabrication même des représentations de son théâtre. Comme Courteline jouait ses propres pièces et présidait au choix de ses interprètes, Sardou assume brillamment la mise en scène de ses spectacles : Antoine, dans son Théâtre, le qualifie d'« extraordinaire metteur en scène ».
L'écrivain, cependant, n'est pas sans défauts. S'il est habile à nouer et dénouer une intrigue, à composer une action ; s'il possède le sens du dialogue et sait donner à l'ensemble ce mouvement qui interdit l'ennui du spectateur, son invention demeure relativement pauvre. Plus aimable que Dumas fils dans le drame historique, il mérite le reproche que lui adresse Antoine de « subordonner les figures historiques qu'il met sur le théâtre aux héros de ses fictions » (Le Théâtre). Le plus souvent il produit ce que nous appellerions un excellent théâtre de boulevard ; c'est dire combien, malgré ses qualités, il a du mal à survivre à son temps.
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Écrit par
- Jacques PRÉVOT : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, maître assistant à l'université de Paris-X
Classification
Autres références
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BOULEVARD THÉÂTRE DE
- Écrit par Daniel ZERKI
- 5 988 mots
En 1884, c'est Théodora, de Sardou (le « Napoléon de l'art dramatique », aux dires de ses contemporains), qui noie sous une profusion de décors, de costumes et de faux vrais détails historiques un avatar tardif et quelque peu abâtardi du drame romantique.