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VIDE & PLEIN, symbolique

Cette opposition ne dérive en rien de l'empirie, elle constitue une catégorie a priori de l'imagination. À travers l'imaginaire du plein et du vide, nous investissons la réalité selon les trois plans de la connaissance : ceux de la matière, de la vie et de l'esprit.

L'imaginaire lié à la matière s'enracine dans l'expérience des matériaux. Le « plein » y est perçu comme ce qui résiste, mais qui par là même donne prise ; le « vide », n'ayant aucune consistance, n'offre aucune tangibilité, et, pourtant, il entre, de près ou de loin, dans la forme fabriquée (par exemple, dans le vide du moule). « Les vases sont faits d'argile, mais c'est grâce à leur vide que l'on peut s'en servir » (Laozi). À travers les matériaux, c'est donc ce couple imaginaire « plein-vide » que travaille l'Homo faber. Avant toute fabrication, il se révèle ainsi d'abord un « homme imaginant ». Il projette sur les matériaux ses finalités, ses valeurs d'usage. Bien plus, il invente ses matériaux et imagine une matière idéalement plastique et continue, susceptible de recevoir l'étrange et paradoxale puissance des formes vides. André Leroi-Gourhan a montré comment la plupart des schèmes d'action qui « travaillent » la matière reposent sur le jeu réciproque du plein et du vide (par exemple, le schème d'évidement : enlever, graver, gratter, tailler, sculpter, limer, etc., ou celui du mixage : mélanger, raffiner, moudre, piler, fondre, etc.). Ainsi, ce n'est pas la matière, mais c'est la forme qui peut être dite pleine ou vide. La technique réalise ce retournement d'un « trop-plein » qu'est le matériau (un excès d'information selon Georges Simondon), en ce vide potentiel susceptible d'accepter la forme et de la manifester. Cette condition est à la base même de tous les arts plastiques (par exemple, l'architecture est tout autant un art du vide qu'un art du plein), des arts du fil (tissage, vannerie, couture, nœud, filet sont autant de moyens de jouer sur le vide), des arts des contenants (outre, gourde, vase, boîte, coffre, etc., signifient par leur volume vide). C'est également la base des arts mécaniques, qui reposent sur les propriétés de « jeu », c'est-à-dire de vide entre les pièces (meules, tours, roues, engrenages, roulements, hélices, etc.), des arts du feu, qui font coïncider l'image en plein (du pain, de la brique, de la clé, de l'épée) et l'image en creux (du moule, de la serrure, du fourreau), etc. Ainsi les catégories imaginaires opposées du plein et du vide sous-tendent l'imagination de la rencontre de la matière et de la forme.

L'imagination du plein et du vide est tout aussi prégnante pour la réflexion sur la vie. La physiologie comme la biologie se sont constituées, et ce dès les Grecs, comme une longue méditation sur la dialectique qui relie les « pleins » organiques (squelette, chairs, tissus, fibres, cellules, organites, gènes, etc.) et les vides organiques ou non (cavités, organes creux, glandes sécrétoires, liquides interstitiels, humeurs, « moules intérieurs » selon l'expression de Buffon, milieu intérieur de Claude Bernard, plasma, molécules « en creux »), voire toutes les spéculations sur les pathologies de l'absence (monstres par défaut, organes manquants ou prélevés, tissus dégénérés ou disparus, fonctions déficientes ou relayées, membres fantômes, œufs mosaïques, etc.) ou, au contraire, les aberrations du trop-plein vital (monstres par excès, organes surnuméraires, équipotentialité, suradaptation létale, effet de choc, rejet de greffe, œufs à régulation, etc.). La vie s'organise autant par ses substances et sa masse que par ses creux, autant par ses membranes que par ses vacuoles, par sa peau que par ses porosités et ses orifices. Ainsi, derrière la physiologie,[...]

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