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VIE DE GÉRARD FULMARD (J. Echenoz) Fiche de lecture

Ancien steward licencié pour faute lourde, Gérard Fulmard se trouve embarqué dans une affaire qui le dépasse. Voilà, simplement résumé, Vie de Gérard Fulmard, roman de Jean Echenoz (Éditions de Minuit, 2020).

Un homme sans qualités

Il va cependant de soi que, chez Echenoz, tout est plus compliqué, raffiné, et amusant. Comme Cherokee (1983), voire Lac (1989), Vie de Gérard Fulmard emprunte au roman noir, genre qu’à la fois il honore et malmène. Comme bien des ouvrages de l’écrivain, il met en scène un « bras cassé », assez proche des cosmonautes de Nous trois (1992), ou des agents secrets d’Envoyée spéciale (2016). Mais il introduit aussi une dimension nouvelle dans la galerie des personnages évoqués : d’abord, le « je » du narrateur suscite une forme d’identification ; puis sa personnalité insignifiante, contrastant avec son usage d’une langue soutenue, plutôt élaborée, nous le rend à la fois familier et distant.

Fulmard a donc été engagé sans qu’il le veuille au sein d’un minuscule parti politique – la Fédération populaire indépendante (FPI) – afin d’en éliminer physiquement Franck Terrail. Ce chef dépressif, dont l’épouse, Nicole Tourneur, a été kidnappée sans que l’on comprenne bien les motivations des ravisseurs, ne se sent plus de diriger la FPI. Les valeurs que ce parti défend sont confuses ; il ne semble exister que pour servir les intérêts et le goût du pouvoir de ses hiérarques.

Le cadre pose les limites du drame. Le narrateur situe l’essentiel de son intrigue dans le XVIe arrondissement : Fulmard réside rue Erlanger, comme l’essentiel de l’appareil de la FPI. Les chefs habitent des résidences ultrasécurisées pour gens très fortunés, selon une sorte d’adage résumé par un « On est chez les riches, il fait beau ». Chez Echenoz, tout fait signe, du moteur de voiture à la décoration d’un salon. Ainsi de celui qu’a choisi Dorothée Lopez, « consultante » auprès du parti : « Les tapis et les meubles – guéridons stratifiés de livres d’art et de catalogues de salles des ventes, méridiennes, sofas, poufs – ainsi que la décoration – un Staël, un Klein, trois antiquités soclées – dénotent un goût et un matelas bancaire analogues. »

Fidèle à ses méthodes, le romancier s’est documenté, a déambulé dans le quartier, observé et questionné. La fiction n’en est rendue que plus puissante puisque, partant du réel, elle en développe la dimension romanesque, celle qui sert de moteur au récit.

Echenoz adopte la trame de la tragédie racinienne, Phèdre en l’occurrence, pour bâtir la narration et surtout mettre en lumière l’intrigue qui se noue au sein d’un parti dans lequel les ambitions s’affûtent, tandis qu’une passion impossible pour Louise Tourneur, sa belle-fille, terrasse Terrail. Parallèlement à cette intrigue amoureuse, les ambitieux s’agitent en coulisse. Un événement d’abord mal compris – la chute d’un satellite sur un supermarché de la porte d’Auteuil – sert de déclencheur et produit quelques effets collatéraux. Les plateaux de télévision en continu donnent à tous ces seconds couteaux l’occasion de connaître enfin la lumière, de se mettre en avant. Cette catastrophe grotesque et effrayante aide aussi Fulmard, dont les ressources financières sont plus que limitées : son propriétaire mort, il n’a pas à payer de loyer. « Le hasard est souvent l’ignorance des causes », lit-on en quatrième de couverture, en écho lointain à l’incipit du roman de Diderot Jacques le fataliste.

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