VIE DES FORMES, Henri Focillon Fiche de lecture
Une spécificité française du formalisme
Par sa revendication d'une autonomie de la forme, Focillon veut renouveler l'archéologie et l'iconographie françaises, notamment celles d'Hippolyte Taine et d'Émile Mâle, et semble s'opposer aux réflexions presque contemporaines d'Erwin Panofsky. On a d'ailleurs souvent défini Vie des formes comme la réponse française au formalisme allemand. Focillon n'évoque dans son ouvrage aucun des représentants de cette école ; pourtant, dans une lettre datée de 1931, il admettait que la confrontation même sous-jacente avec Heinrich Wölfflin serait inévitable dans Vie des formes. La connaissance d'Aloïs Riegl (qui s'oppose lui aussi aux thèses positivistes de Gottfried Semper) est confirmée par les discussions sur l'ornement et par la prédilection pour les styles critiques (le Moyen Âge naissant, le baroque). Pourtant, l'abstraction du Kunstwollen (volonté d'art) et de la grammaire des arts ne s'accorde pas avec la phénoménologie de Focillon : en affirmant que la forme « est toujours non le vœu de l'action, mais l'action », il semble en effet s'opposer d'une façon presque littérale à la volonté d'art de Riegl. De même Wölfflin fixait la théorie de la perception dans des catégories exprimant un idéalisme que Focillon refusait. La dynamique génétique des formes selon Focillon a été rapprochée de celle de W. Pinder et de Max Dvořák, pour qui elles sont animées cependant par un évolutionnisme soumis à la téléologie du Geist (l'esprit) : or, pour Focillon, la forme n'est pas une visée, une destinée, mais une entité réelle dans une phénoménologie complexe.
Le rôle qu'il accorde à la technique suggère plutôt des références précises à des auteurs français, dans le champ de l'esthétique (par exemple le classement des techniques dans le Système des beaux-arts d'Alain), mais surtout dans la critique littéraire et artistique du début du xxe siècle (par exemple le court et pourtant dense traité de Valéry Introduction à la méthode de Léonard de Vinci). On peut aussi repérer l'influence d'un ami de Focillon, le critique d'art Gustave Geffroy, animateur d'un cercle intellectuel où une notion embryonnaire de liberté de la forme venait s'opposer au déterminisme tainien : ennoblir la technique artistique d'un haut degré spirituel, placer toujours l'artiste au centre du processus créateur. Comme Focillon le dit dans les toutes dernières lignes de Vie des formes : « C'est cette multiplicité des facteurs qui s'oppose à la rigueur du déterminisme et qui, le morcelant en actions et en réactions innombrables, provoque de toutes parts des fissures et des désaccords. Dans ces mondes imaginaires, dont l'artiste est le géomètre et le mécanicien, le physicien et le chimiste, le psychologue et l'historien, la forme, par le jeu des métamorphoses, va perpétuellement de sa nécessité à sa liberté. »
Focillon a conçu un livre qui est à la fois un hymne au spiritualisme du xixe siècle et la représentation logique d'un espace-temps polyédrique. Cependant la réception en France de Vie des formes fut limitée, presque restreinte au groupe de ses élèves. C'est en Tchécoslovaquie qu'il fut le mieux compris (en raison des comparaisons qu'il comporte entre art et linguistique) et dans l'Italie animée par l'idéalisme de Benedetto Croce, et par les travaux des historiens d'art Sergio Bettini et Carlo Ludovico Ragghianti.
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Écrit par
- Annamaria DUCCI : chargée de recherche à l'Institut national d'histoire de l'art, Paris
Classification
Autres références
-
ESPACE, architecture et esthétique
- Écrit par Françoise CHOAY , Encyclopædia Universalis et Jean GUIRAUD
- 12 347 mots
- 4 médias
Faisant écho aux travaux de langue allemande, Henri Focillon donnait, dès laVie des formes (1943), une formulation simplifiée mais éloquente de l'espace : « L'espace est le lieu de l'œuvre d'art ; [celle-ci] le définit et [...] le crée tel qu'il lui est nécessaire », et le privilège de l'architecture...