VIE
La vie comme mécanisme
À la fin du Traité de l'homme (1633, mais publié seulement en 1662-1664), Descartes écrit : « Je désire que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement, en cette Machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que font les mouvements d'une horloge ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ; en sorte qu'il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre Âme végétative ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur et qui n'est point d'autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés. » Il est assez connu que l'identification par Descartes de l'animal (l'homme physique ou physiologique y compris) à l'automate machiné et machinal est le verso de l'identification de l'âme à la pensée (« Il n'y a en nous qu'une seule âme et cette âme n'a en soi aucune diversité de parties... », Traité des passions, art. 47, 1649) et de la distinction substantielle de l'âme indivisible et de la matière étendue. Si le Traité de l'homme a pu, mieux encore que le résumé qu'en donnait en 1637, dans sa cinquième partie, le Discours de la méthode, faire fonction d'un manifeste pour une physiologie animale purifiée de toute référence à un principe d'animation, c'est parce que, entre-temps, la découverte par W. Harvey de la circulation du sang et la publication de l'Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus (1628) avaient apporté un exemple d'explication hydrodynamique d'une fonction de la vie que bien des médecins, en Italie notamment et en Allemagne, s'étaient efforcés d'imiter, sous forme de projets de modèles artificiels, pour expliquer d'autres fonctions comme la contraction musculaire, ou comme l'équilibration du poisson dans l'eau. En fait, les élèves et disciples de Galilée dans l'Accadémia del Cimento, J. A. Borelli (De motu animalium, 1680-1681), F. Redi, M. Malpighi, avaient effectivement tenté d'appliquer en physiologie l'enseignement de Galilée en mécanique et en hydraulique, alors que Descartes s'était satisfait d'un programme heuristique plus intentionnel qu'opératoire.
S'il est rationnel de chercher l'explication des fonctions d'un organe, tel que l'œil, ou d'un appareil tel que le cœur et les vaisseaux, dans la construction, en schéma ou en maquette, de ce qu'on a appelé depuis lors des modèles mécaniques, comme les iatromécaniciens (ou iatromathématiciens) des xviie et xviiie siècles l'ont tenté pour la contraction musculaire, pour la digestion, pour la sécrétion glandulaire, par contre, à l'épreuve des faits, il se révèle impossible d'expliquer par les seules lois de la mécanique galiléenne ou cartésienne la formation générative d'organes ou d'appareils dont la coordination fonctionnelle est précisément ce qu'on entend par la vie du vivant. En somme, le mécanisme, c'est la théorie du fonctionnement des machines construites, vivantes ou non, mais non de la construction des machines.
Dans la pratique, le mécanisme s'est révélé inopérant en embryologie. L'usage du microscope, qui s'est répandu dans la seconde moitié du xviie siècle, a permis l'observation des germes de vivants, ou de vivants aux premiers stades de leur développement. Mais l'observation, par J. Swammerdam, de métamorphoses d'insectes ou la découverte, par A. van Leeuwenhoek, du spermatozoïde ont été d'abord présentées comme confirmations d'une conception spéculative de la génération, végétale ou animale, selon laquelle la graine, ou l'œuf, ou bien l'animalcule spermatique contiennent,[...]
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Écrit par
- Georges CANGUILHEM : professeur honoraire à l'université de Paris-I-Sorbonne
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