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VIE

La vie comme organisation

C'est, encore une fois, à Aristote qu'il faut faire remonter le terme de corps organisé. Un tel corps est un corps disposé pour fournir à l'âme les instruments ou les organes indispensables à l'exercice de ses pouvoirs. C'est pourquoi, jusqu'au xviie siècle, le corps organisé exemplaire c'est le corps animal. On s'interroge sur l'organisation du végétal, encore que selon Aristote les parties de la plante soient aussi des organes, quoique extrêmement simples. L'examen microscopique de préparations végétales a permis la généralisation du concept d'organisation, inspirant même des analogies fantaisistes entre les structures et les fonctions végétales et animales. R. Hooke (Micrographia, 1667), Malpighi (Anatome plantarum, 1675) et N. Grew (The Anatomy of Plants, 1682) ont découvert la structure de l'écorce, du bois, de la moelle, ont distingué les tubes, les vaisseaux et les fibres, ont comparé racines, tiges, feuilles, fruits sous le rapport de leurs membranes ou tissus.

L'organon grec désigne toutefois aussi bien l'instrument du musicien que l'outil de l'artisan. L'assimilation du corps organique humain à un orgue recouvre, au xviie siècle, plus qu'une métaphore – mais non la même – chez Descartes, Pascal, Bossuet (Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même), Leibniz. La polyvalence, biologique et musicale, des termes (organisation, organique, organiser) se retrouve jusqu'au xixe siècle dans le Dictionnaire de Littré. Pour Descartes, l'orgue organique fonctionne sans organiste. Mais pour Leibniz l'unité structurale et fonctionnelle de l'orgue suppose l'organiste. Sans organisateur, c'est-à-dire sans âme, pas d'organisé ou d'organique. « On ne viendra jamais à quelque chose dont on puisse dire : voilà réellement un être, que lorsqu'on trouve des machines animées dont l'âme ou forme substantielle fait l'unité substantielle indépendante de l'union extérieure de l'attouchement » (Lettre à Arnauld, 28 nov. 1886). Moins célèbre, mais plus pédagogique, le médecin Daniel Duncan écrit : « L'Âme est cet habile organiste qui forme lui-même ses organes avant de les faire jouer [...]. C'est un jeu remarquable que, dans les orgues inanimées, l'organiste est différent de l'air qu'il y pousse ; au lieu que dans les orgues animées l'organiste et l'air qui les fait jouer sont une seule et même chose, je veux dire l'âme qui est extrêmement semblable à l'air ou au souffle » (Histoire de l'animal, ou la Connaissance du corps animé par la mécanique et par la chimie, 1686).

L'histoire du concept d'organisme, au xviiie siècle, se résume dans la recherche, par les naturalistes, les médecins et les philosophes, de substituts ou d'équivalents sémantiques de l'âme, pour rendre compte du fait, de mieux en mieux établi, de l'unité fonctionnelle d'un système de parties intégrantes. Dans un tel système les parties soutiennent entre elles de tels rapports de réciprocité, directe ou médiatisée, assez bien figurés par ce qu'on nomme aujourd'hui un graphe, que, pris à la rigueur, le terme de partie ne convient plus pour désigner les organes dont l'organisme peut être dit la totalité mais non l'addition.

La lecture de Leibniz a inspiré Charles Bonnet, que les observations d'Abraham Trembley sur la reproduction des polypes par bouturage et ses propres observations sur la parthénogenèse des pucerons ont confirmé dans son hostilité au mécanisme. « Je ne rends pas encore la difficulté assez saillante : elle ne consiste pas seulement à faire former mécaniquement tel ou tel organe, composé lui-même de tant de pièces différentes ; elle consiste principalement à rendre raison,[...]

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