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VIENNE AU CRÉPUSCULE, Arthur Schnitzler Fiche de lecture

Une fresque culturelle et sociale de la Belle Époque viennoise

Dans cette mélancolique éducation sentimentale de Georg von Wergenthin, Arthur Schnitzler a dressé le bilan de sa jeunesse d'artiste dandy et d'homme à femmes qu'il racontera avec franchise dans ses Mémoires (Une jeunesse viennoise, publication posthume en 1968). Dans l'autre versant du roman, qui apparaît aujourd'hui comme particulièrement passionnant, Schnitzler fait le tableau le plus complet qu'il ait jamais tenté de la société des Juifs assimilés de la Belle Époque viennoise.

Dans la bonne société du xxe siècle commençant, nous suggère Schnitzler, on ne pouvait plus être juif sans subir une « crise d'identité » plus ou moins grave, tant l'antisémitisme s'était répandu et tant les stratégies de « réinvention » de la judéité qui s'affrontaient étaient variées et contradictoires. Dans le salon de la famille Ehrenberg se retrouve un certain microcosme viennois : le baron Georg von Wergenthin, le directeur de ministère Wilt, l'officier Demeter Stanzides, les Juifs de la banque et de l'industrie (les Ehrenberg et les Wyner), enfin les intellectuels et artistes juifs (Bermann, Nürnberger, Eissler).

Les uns se déclarent complètement déjudaïsés : « Je ne suis pas baptisé, mais je ne suis pas juif non plus. Je me tiens depuis longtemps en dehors de toute confession, pour la simple raison que je n'ai jamais eu le sentiment d'être juif », déclare Nürnberger. En revanche, le vieux Léo Ehrenberg est un ardent sioniste. « Il voit des antisémites jusque dans sa propre famille », soupire Mme Ehrenberg... Il est vrai que le fils de Léo Ehrenberg, Oskar, a tellement honte de ses parents qu'il professe une sainte horreur des Juifs. « Pour ma part, rétorque Nürnberger, je n'ai réussi jusqu'à présent à rencontrer qu'un seul antisémite authentique... C'est un leader sioniste connu. » Allusion au fait que les premiers sionistes, Theodor Herzl (1860-1904) particulièrement, parlaient avec une dureté parfois impitoyable des Juifs assimilés ou des Juifs « arriérés » de Galicie.

Aucun roman de langue allemande n'a été plus lucide que Vienne au crépuscule dans l'analyse de la crise culturelle et sociale que connut la capitale autrichienne à la veille de la Première Guerre mondiale. Œuvre pleine d'émotion et de subtile psychologie lorsqu'elle nous fait vivre le navrant échec de la liaison amoureuse de Georg von Wergenthin et Anna Rosner, ce roman est aussi un témoignage capital sur la place éminente des élites juives à Vienne au début du xxe siècle. On comprend mieux pourquoi, après l'Anschluss de 1938 et la Shoah, l'âme de cette métropole n'a jamais pu vraiment renaître.

— Jacques LE RIDER

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Arthur Schnitzler - crédits : Culture Club/ Getty Images

Arthur Schnitzler

Vienne : le Graben - crédits : Culture Club/ Getty Images

Vienne : le Graben