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VIES MINUSCULES, Pierre Michon Fiche de lecture

Une écriture ritualisée

Plus difficile, alors, et comme volontairement désespérée, sera l'entreprise de celui qui ne déchiffre sa propre existence qu'en filigrane de ces vies imaginées ou frôlées : vies modestes, condamnées à la disparition. Phrase après phrase, Pierre Michon a ainsi tenté de faire de l'oubli qui menace ses personnages la matière même du langage. Il a travaillé à ce que ces existences dépossédées retrouvent, par la grâce du mot qui sonne juste, une fragile incarnation. Combattant l'absence pied à pied, il a recueilli les signes les plus ténus, les plus grossiers, et a fait d'eux autant d'éléments d'une « mémoire démentielle », pour reprendre le titre d'une nouvelle de Louis-René des Forêts, auquel ce livre doit beaucoup. Cette matière d'oubli ainsi transfigurée, ce sera, au long du récit, les chromos, colifichets, fétiches, objets de rien : tout un bric-à-brac mêlant l'émotionnel et le magique, puisqu'il aboutit chaque fois à rendre à sa pleine réalité le nom de celui qui est évoqué. À leur manière, en effet, ces reliques personnelles, ces « douloureux petits fétiches » sont le trésor d'une vie. Et des grains de café envoyés d'Afrique à la cigarette que tient l'abbé Bandy, de la sainte Vierge « souverainement inexpressive sous un boîtier de verre et de soie » à l'image arrachée au Livre de la jungle, c'est seulement par l'intermédiaire de ces objets et par leur dénombrement obstiné que l'écriture pourra rendre ces êtres à l'existence qui leur fut déniée. Cette fascination pour les détails infimes, sacralisés, transforme ainsi la narration en rituel et permet au vivant de se réfléchir dans les morts qu'il appelle à lui.

Cependant, le langage ne comble pas. Jamais – sinon dans la parole prophétique – il ne coïncide avec le visible. Loin d'influer sur lui, il semble condamné au ressassement d'un passé dont on finit par douter s'il se tient du côté de l'écriture ou du côté du réel. Toute la beauté farouche et par moments exaspérée des Vies minuscules naît de l'affirmation d'une telle déception, qui voue celui qui aime les livres et veut écrire à une dépossession sans fin : « Les choses du passé sont vertigineuses comme l'espace, et leur trace dans la mémoire est déficiente comme les mots : je découvrais qu'on se souvient. » Rien ne répare une telle déficience, et l'élaboration d'une symétrie continue entre réel et littérature ne les rend que plus séparés l'un de l'autre. Ce qui ne conduit nullement Pierre Michon à une poétique de la rareté. Au contraire, on trouvera chez lui une générosité de l'écriture – quand celle-ci prend le parti de la surenchère, multiplie périodes et métaphores, allusions picturales ou littéraires et convoque ainsi le langage dans tout son apparat. Furtivement, l'emphase et le silence se confondent. Le narrateur quitte alors le domaine des mots pour rejoindre les existences peureuses, rudimentaires et muettes qu'il a évoquées.

— Gilles QUINSAT

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Média

Pierre Michon - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Pierre Michon

Autres références

  • MICHON PIERRE (1945- )

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    • 1 704 mots
    • 1 média
    ...aujourd'hui trop sentimentale. Si on l'interroge sur les textes de lui qu'il préfère, il élit son essai Corps du roi (2002), mais ne renie pas pour autant Vies minuscules, dont il ne retient aujourd'hui que les trois premières (le socle primitif de l'œuvre) en négligeant volontiers les suivantes, afin de...