VIETNAM. À TRAVERS L'ARCHITECTURE COLONIALE (A.Le Brusq) Fiche de lecture
Les colonies furent un laboratoire passionnant et méconnu en matière d'architecture. En Indochine, la France inventa ainsi une architecture « vietnamienne », forgée souvent de toutes pièces dans les agences d'architecture parisiennes et dans les concours arbitrés au ministère des Colonies, dont l'actuelle architecture nationale vietnamienne est l'héritière. Importée, inventive, cette architecture longtemps dédaignée fut plus qu'un style local parmi les autres « styles néo » : son histoire n'a longtemps été qu'un chapitre marginal dans une histoire de l'architecture des années 1920-1930. Or cette architecture lointaine permit aux architectes français d'inventer des formes parfois plus audacieuses, plus étonnantes que dans les constructions qu'ils édifiaient à la même époque dans la métropole.
Des bâtiments à l'abandon, comme les tribunes de l'ancien hippodrome de Saigon, ou d'autres qui demeurent en usage, comme le lycée Pétrus-Ky ou l'hôtel des Postes avec sa verrière métallique, témoignent bien d'un paradoxe constitutif de l'identité vietnamienne : qu'est-ce, après la décolonisation, qu'un patrimoine historique vietnamien ? On touche avec cette question à l'ambiguïté même de la notion de patrimoine : ce qui appartient à un peuple, qui témoigne de la vie de grands « ancêtres » et constitue le ferment de la culture nationale. Les constructions coloniales vietnamiennes sont en péril et leur sauvegarde doit être envisagée. Il importe de reconstituer l'œuvre des architectes français d'outre-mer, d'en écrire l'histoire en même temps que celle de la société qui les utilisait. Bon nombre de ces édifices portaient une signification idéologique forte : ils exaltaient la France, l'empire, la nation dominatrice et civilisatrice au-delà des océans. Il revient aux Vietnamiens d'accepter ce passé, de restaurer ces monuments, de leur rendre leur sens dans le grand mouvement de l'architecture mondiale du xxe siècle et aussi dans l'histoire du Vietnam indépendant. L'ouvrage d'Arnauld Le Brusq, publié par Patrimoines et Médias et les Éditions de l'Amateur en 1999, première grande synthèse sur le sujet, ne fait pas l'économie de cette problématique. Il constate que « l'idée de patrimoine appliquée à l'architecture coloniale ne va pas de soi » avant de souligner l'attachement des Vietnamiens à leurs « monuments historiques » de l'époque française.
Promenade érudite en Indochine, jamais nostalgique ni sentimentale, documentée aux meilleures sources, l'enquête d'Arnauld Le Brusq est fascinante. Sous les villes actuelles, il redécouvre des sites, que la mémoire d'un peuple accepte enfin de regarder en face. La confrontation des documents d'archives et des excellentes photographies de Léonard de Selva sert à merveille la démonstration. Saigon, « perle » de l'empire français, a bénéficié d'un vrai service des travaux publics opérant rationnellement. L'Hôtel de Ville de Paul Gardès (1907) masque sous un style néo-Renaissance une structure en béton armé. La cathédrale Notre-Dame, avec ses tours en brique, a d'abord servi contre les radicaux et les francs-maçons. À Dalat, petite France au milieu des pins, la collection des villas qui semble rivaliser avec l'Arcachon de 1910 mérite d'être sauvée. Le décor de Foinet pour la villa de Bao Dai (1934) mérite un « classement » intégral. Le meilleur symbole reste évidemment Hanoi, centre de l'Union indochinoise dans le passé et mégalopole contemporaine en devenir.
Arrivant à Hanoi pour en être gouverneur, en 1897, Paul Doumer s'était heurté à un banc de sable sur le fleuve Rouge. Il avait dû rejoindre son poste en empruntant un pont branlant[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne