KHLEBNIKOV VIKTOR (1885-1922)
« Pour conserver la véritable perspective littéraire, j'estime de mon devoir d'imprimer noir sur blanc en mon nom et, je n'en doute pas, au nom de mes amis, les poètes Asseïev, Bourliouk, Kroutchonykh, Kamenski, Pasternak, que nous l'avons considéré et le considérons comme un de nos maîtres en poésie, et le plus magnifique, le plus probe chevalier de notre combat poétique. » Ces quelques lignes extraites de l'article nécrologique que Maïakovski écrivit en 1922 à la mémoire de Khlebnikov disent assez son importance et sa place dans la poésie russe du xxe siècle. Ce « Christophe Colomb de nouveaux continents poétiques », comme l'appelle encore Maïakovski dans le même article, fut choisi par la nouvelle école des futuriens comme emblème de la révolte contre les canons de l'esthétique symboliste. Mais celui qui voulut rester dans la postérité comme le roi du temps, découvreur des lois de l'histoire, mena, depuis les débuts de sa carrière poétique jusqu'à sa mort, une quête ininterrompue, à la fois mystique et rationnelle, qui le distingue de ses compagnons occasionnels et le met à part de toute école déterminée. Son œuvre, combinant les genres les plus divers, s'enracine dans la tradition nationale de la Russie et dans le système de la langue russe elle-même, dont elle mobilise et fait vibrer toutes les composantes. D'où la réputation de difficulté et d'hermétisme qui oblitère encore l'héritage de Khlebnikov.
Biographie du futurien Vélimir Khlebnikov
Viktor (« Vélimir » pour la postérité) Vladimirovitch Khlebnikov naquit en 1885 dans le gouvernement d'Astrakhan. Il fit des études à Simbirsk, puis à l'université de Kazan, dont un des plus illustres recteurs fut le mathématicien Lobatchevski. C'est à cette époque qu'il écrivit ses premiers poèmes. Ainsi qu'il se plut à le répéter par la suite, l'histoire, avec le désastre de la flotte russe à Tsushima en 1905, lui fit signe en lui révélant sa mission : découvrir les lois du temps qui permettraient à l'humanité de maîtriser son destin en le prévoyant. Dès son arrivée à Saint-Pétersbourg, en 1908, il fréquenta le cercle symboliste de Viatcheslav Ivanov, à qui il avait adressé ses premiers vers et avec lequel il gardera toujours de bonnes relations, malgré la rupture avec le symbolisme dès février 1910. En effet, par sa première publication, La Tentation du pêcheur (Iskušenie grešnika, 1908), Khlebnikov était entré en contact avec les représentants de l'avant-garde poétique et picturale de la capitale. Si, rétrospectivement, le fameux poème dérivé d'une seule racine, La Conjuration par le rire (Zakljat'e smexom, 1910), fut considéré comme le coup d'envoi du futurisme russe, le véritable engagement militant ne survint que dans les publications suivantes, Le Vivier des juges (Sadok sudej), et surtout le célèbre recueil Gifle au goût public (Poščečina obščestvennomu vkusu, 1912). Dans le groupe Hylée (ou, pour reprendre le vocable qu'il avait lui-même forgé, le groupe des « futuriens »), Khlebnikov passait, par ses expérimentations poétiques et langagières, pour un primitiviste du verbe. Mais ses réflexions sur le chiffre du temps et de la langue entraînèrent le poète vers l'aile gauche du groupe, et, de concert avec Kroutchonykh, il publia la déclaration « du mot comme tel » (Slovo kak takovoe, 1913), base des recherches qui devaient bientôt le conduire à l'invention d'une langue d'« outre-raison » (la zaum'). Obnubilé par la maîtrise du destin et des lois du langage, cet insurgé existentiel qu'était Khlebnikov ne pouvait qu'accueillir avec ferveur la commotion révolutionnaire de l'année 1917. Dans les années de guerre civile, il chanta le soulèvement général des êtres et des choses : [...]
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Écrit par
- Jean-Claude LANNE : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, professeur de langue et littérature russes à l'université de Lyon
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FUTURISME
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