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KHLEBNIKOV VIKTOR (1885-1922)

Le temps, la langue, la révolution

Il est rare qu'un poète se soit aussi peu préoccupé de sa destinée poétique. « Je m'en irai dans les siècles comme celui qui a découvert les lois du temps », confiait-il dans une lettre adressée à sa famille en 1915. Khlebnikov cherche à réduire le multiple à l'unité. Seule la formule mathématique peut, d'après lui, opérer cette subsomption de tous les phénomènes les plus divers du monde empirique sous une seule et même formule. Nouvel « arpenteur du temps », Khlebnikov dresse les lois de l'histoire qui déterminent la périodicité des événements : on peut prédire l'histoire et conjurer ses périls par la rationalité du Nombre. Si la démarche de Khlebnikov dans l'approche des phénomènes de l'histoire témoigne d'un impérialisme hyperbolique de la raison, il en va de même dans sa réduction des langues empiriques à l'unité d'une langue universelle, qu'il appelle la « langue d'outre-raison » (zaumnyj jazyk). La constitution de cette langue du futur qui unira les êtres de l'univers entier s'élabore par une « sémasiologisation » (charge sémantique) conséquente des phonèmes de la langue russe. Les langues empiriques, débarrassées du poids des significations, resteraient alors pour le jeu libre et gratuit de l'art.

L'attitude de Khlebnikov face à la révolution est à l'image de sa personnalité, divisée entre le désir de rationaliser le monde et l'insurrection spontanée de tout son être contre l'injustice. Ce double mouvement prend, dans sa mythologie personnelle, l'aspect de deux figures antithétiques mais conjointes : Razin, signe de l'émeute des sentiments, et Lobatchevski, symbole de la « révolte intelligente ».

« C'est l'émeute de Razine Volant jusqu'au ciel de la Néva Elle entraîne le dessin Et l'espace de Lobatchevski. »(Ladomir)

Le séisme révolutionnaire brise les images de la vieille culture, favorisant ainsi la résurrection des anciennes déités slaves dans le Monde de l'Harmonie (Ladomir). La mythologie épique des poèmes révolutionnaires de Khlebnikov est indissociable de ses recherches formelles sur la valeur des phonèmes de la langue russe et de son obsession du retour à la pureté primitive de la langue slave libérée.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, professeur de langue et littérature russes à l'université de Lyon

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