PELEVINE VIKTOR (1962- )
Viktor Pelevine est une figure énigmatique de la littérature postsoviétique. Extrêmement populaire auprès de tranches d'âge et de couches sociales très différentes, il est entouré d'un mystère qu'il se plaît à entretenir dans sa vie comme dans son œuvre, fuyant les médias et cultivant une poétique de l'ambiguïté.
Né en 1962, ingénieur de formation, il fait partie de la génération de Russes qui a connu une enfance et une éducation soviétiques, mais a abordé la vie active au moment des réformes entreprises par la perestroïka. La publication de ses premiers récits coïncide avec l'effondrement de l'U.R.S.S., la disparition de la censure étatique et l'ouverture du pays à l'Occident.
Cette position à la frontière de deux mondes a profondément influencé son écriture, qui se caractérise par la collision entre des univers de nature radicalement différente. Ainsi, des personnages philosophant sur le sens de la vie s'avèrent être des poulets en batterie ; d'autres sont les pièces d'un échiquier gigantesque ; un autre encore devient le héros du jeu sur ordinateur auquel il joue ; dans la nouvelle La Flèche jaune (Žëltaja strela, 1993), satire de l'U.R.S.S. mais aussi interrogation métaphysique sur la condition humaine, le monde dans lequel vivent les personnages est un train qui file vers un pont détruit ; dans son roman La Vie des insectes (Žizn' nasekomyh, 1993), les personnages se transforment en insectes, et vice versa. Ces métamorphoses relèvent certes d'un procédé comique. Mais elles mettent aussi en évidence la fragilité de l'identité et de la réalité elle-même. Pelevine vient de la littérature fantastique, il admire Borges, doute sans cesse de la solidité du monde et des perceptions humaines, et fait percevoir la porosité des frontières entre la vie et la mort, le réel et le virtuel.
Viktor Pelevine est de ces écrivains, nombreux dans les années 1990, qui ont construit leur œuvre sur et avec les débris de la culture soviétique. Ils ont par là contribué à la déboulonner, introduisant la dérision et le grotesque dans les mythes construits par l'U.R.S.S. Ainsi présente-t-il, dans son premier roman, Omon Râ (Omon Ra, 1992), l'astronautique soviétique comme une vaste imposture.
Et parce qu'il se montre très sensible à l'air du temps et aux changements sociopolitiques, on trouve dans ses œuvres tout ce vers quoi se tourne la Russie désarçonnée : religiosité, mysticisme et ésotérisme, paradis artificiels. Très influencé par la lecture de Carlos Castaneda, l'écrivain place souvent ses personnages dans des états limites de la conscience (rêve, hallucinations, dédoublement schizophrénique). Dans le même temps, il se montre en prise directe avec la nouvelle société très concrète qui émerge en Russie : il représente des nouveaux riches et des mafieux, décrit le désarroi des intellectuels qui se sont retrouvés sur le bas-côté de la société. Le héros de Homo zapiens (Generation, P', 1999) est un poète qui devient publicitaire avant d'être introduit dans une société secrète qui manipule le public au moyen de la télévision, royaume de l'illusion. La satire de Pelevine se fait de plus en plus incisive : il fustige la bêtise des séries américaines et sud-américaines (ce qui donne lieu à quelques caricatures très drôles et bien senties) qui ont envahi les écrans russes, le manque de culture des nouveaux riches, mais aussi le snobisme des milieux intellectuels se gargarisant de Derrida et Baudrillard.
À la folie d'accumulation et de profit qui dévore la Russie postsoviétique, Viktor Pelevine semble opposer la spiritualité de l'Orient, en particulier le vide bouddhiste (au centre de son roman La Mitrailleuse d'argile, Čapaev i Pustota, 1996), forme suprême de plénitude et alternative mystique aux[...]
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Écrit par
- Hélène MÉLAT : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université
Classification
Autres références
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RUSSIE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Michel AUCOUTURIER , Marie-Christine AUTANT-MATHIEU , Hélène HENRY , Hélène MÉLAT et Georges NIVAT
- 23 999 mots
- 7 médias
...le sens, l’auteur mettant en évidence l'absurdité de tout discours et introduisant la violence dans la trame même du texte. Omon Râ (Omon Ra, 1992) de Viktor Pélévine présente l'astronautique soviétique, fleuron du régime, comme une illusion et un pur produit de la propagande. Dans la prose de cet auteur...