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DANILOV VIKTOR PETROVITCH (1925-2004)

Viktor Petrovitch Danilov fut le plus grand spécialiste de l'histoire de la paysannerie russe et soviétique au xxe siècle et, parmi la communauté des historiens russes, l'un des plus respectés représentants de cette « génération des années 1960 » qui s'était engagée – autant que le permettaient les circonstances – dans la brèche ouverte en 1956 par le XXe congrès du P.C.U.S. Né en 1925 dans une grande famille semi-paysanne de la région d'Orenbourg, une province rurale de la « Russie profonde », Danilov a été marqué dans sa jeunesse par deux cataclysmes : la collectivisation forcée des campagnes et la « grande guerre patriotique ». Mobilisé à l'âge de dix-huit ans, il connaît, deux ans durant, l'expérience du front. C'est la volonté de comprendre ce qu'il a vu pendant la guerre qui le poussera à se consacrer à l'histoire. Après des études supérieures à Orenbourg, il prépare sa thèse à l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences à Moscou. Il y crée un secteur d'études agraires dont il restera l'animateur près d'un demi-siècle durant, jusqu'à sa mort. Sa première œuvre, parue en 1957, est consacrée à la société paysanne des années 1920. Il entreprend aussitôt après une grande étude de la collectivisation des campagnes, un sujet politiquement très sensible. En effet, même durant le dégel khrouchtchévien, le Grand Tournant de 1929-1930, véritable guerre engagée par l'État soviétique contre une paysannerie globalement opposée à la collectivisation, restait un sujet tabou. Achevé en 1966, l'ouvrage est interdit par la censure, alors que le bon à tirer était déjà signé. Danilov est pourtant loin d'être un « dissident ». Secrétaire de la section du Parti de l'Institut d'histoire, il se définit comme un « homme des années 1960 » (sestidesiatnik) qui critique sévèrement Staline et le stalinisme mais croit fermement en un « socialisme à visage humain ». En pleine « restalinisation » brejnévienne, il organise en 1966, à l'Institut d'histoire, une commémoration – unique en son genre – du dixième anniversaire du XXe congrès, celui de la « déstalinisation ». Marginalisé au sein de l'establishment, très conservateur, de l'Institut d'histoire, il ne parvient qu'à la fin des années 1970 à faire paraître son histoire de la paysannerie soviétique avant la collectivisation, une œuvre remarquable d'histoire sociale, économique et anthropologique qui explore en profondeur la force et la cohésion de l'univers paysan face au monde extérieur de la ville et du pouvoir bolchevique.

La perestroïka, puis la chute de l'U.R.S.S. et la « révolution documentaire » induite par l'ouverture des archives permettent à Danilov de donner toute la mesure de son engagement citoyen et de sa vocation d'historien. Il dénonce le triomphe progressif du modèle « libéral » en économie, un modèle clairement rejeté par une paysannerie profondément fragilisée à l'issue de soixante ans d'agriculture collectivisée. Critiqué dans les années 1970-1980 pour son révisionnisme, il continue de l'être, après la chute de l'U.R.S.S., souvent par les mêmes détracteurs, qui l'accusent d'« archéo-marxisme » ! Connaisseur hors pair des archives, Danilov s'attelle à la publication de documents d'archives sur la paysannerie soviétique, de la révolution de 1917 à la Seconde Guerre mondiale. En 1994, il publie un volume sur la grande insurrection paysanne de Tambov en 1920-1921, épisode final, selon lui, d'une révolution paysanne autonome et anti-étatique commencée en 1902 et dans laquelle 1917 n'était qu'un des jalons. Sur cette spécificité et cette unicité de la révolution paysanne engagée au début du [...]

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