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PARETO VILFREDO (1848-1923)

De tous les sociologues classiques, Pareto est, sans doute, celui qui a été le plus contesté et le plus discuté dans la sociologie contemporaine. Célébrée par les uns, abhorrée par les autres, son œuvre a soulevé des polémiques passionnées. Le pessimiste niant le progrès, le prophète annonçant la fin inéluctable d'une époque, l'écrivain sarcastique au tempérament pléthorique, l'adversaire des idéologies et de toute philosophie, le critique acéré des milieux intellectuels a peut-être ainsi détourné l'attention d'une œuvre importante pour la connaissance de l'homme en société.

Pourtant, dans la seconde moitié du xxe siècle, on commence à prendre la mesure d'une pensée solide mais tortueuse : Talcott Parsons a mis en évidence l'apport de Pareto à l'élaboration de la théorie du système social et des concepts de structure et de fonction ; Jean Piaget a montré l'importance des notions d'équilibre, d'interaction et de communication, tandis que Raymond Aron a dégagé l'intérêt de l'étude des actions non logiques pour l'analyse des processus politiques. La sociologie mathématique actuelle et l'économétrie se sont emparées du concept de globalité postanalytique tel qu'il a été élaboré par Pareto dans sa théorie systémique.

Il est vrai que ces modèles contemporains utilisent, à la place des équations différentielles, les programmes informatiques et la théorie des jeux ; néanmoins, les progrès actuels auraient été inconcevables sans les contributions de Pareto. Grâce à l'étude des fondements génético-fonctionnels des actions humaines et des implications sociales de toute pratique scientifique, il a ouvert les voies à la sociologie de la connaissance, à la sociologie de la sociologie et à l'étude des logiques « autres ».

Un « doctrinaire » libéral

Né à Paris, le 15 juillet 1848, de mère française et de père italien (exilé en France pour raisons politiques), Vilfredo Federico Pareto vient en Italie en 1858 et, après des études techniques à Gênes, à Casale Monferrato et à Turin, il obtient le diplôme d'ingénieur avec une thèse sur la théorie de l'élasticité des corps solides. Par tempérament et par éducation, il est un libéral. Les doctrines de Gustave de Molinari, son libéralisme extrême et abstrait l'attirent beaucoup. Dès 1870, il s'établit à Florence où il commence une carrière dans les chemins de fer pour passer ensuite dans l'industrie métallurgique. Il participe aux luttes des libre-échangistes groupés autour d'un ancien ministre de Cavour, Ubaldino Peruzzi, et de la Société Adam Smith. Il est rapporteur à des congrès pacifistes et, par des discours et des articles enflammés, il répand le credo libre-échangiste dans un pays engagé dans une politique protectionniste.

Dans les articles de cette période, le doctrinarisme abstrait se superpose mécaniquement à la réalité, si bien que celle-ci lui demeure souvent étrangère. Pareto est un contemplateur tourné vers l'extérieur. On sent chez lui, en définitive, une répugnance instinctive pour l'action. Il n'aperçoit dans la politique que l'arrivisme et la mauvaise foi des intrigants qui exploitent les passions populaires. Il essaie vainement de se faire élire, à deux reprises, député au Parlement ; ces expériences pratiques de la politique le convainquent que la puissance est funeste et que le pouvoir n'est que corruption et méchanceté. Son hostilité envers l'État centralisateur et bureaucratique va de pair avec un ardent désir de voir garantis l'ordre, l'autorité et la hiérarchie. Contraint de batailler contre le protectionnisme, contre les programmes militaires, contre la gallophobie du ministère Crispi et contre les méfaits d'une classe politique médiocre, Pareto finit par adopter le ton[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie

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