PARETO VILFREDO (1848-1923)
Élites et masses
Ces vues désolées et désolantes deviennent un pessimisme tragique lorsque Pareto prend en considération le fait que les échelles de valeur des individus sont hétérogènes, alors qu'il n'existe pas d'hétérogénéité sociale. Il y a, dans la société, une séparation, une opposition entre les masses et les élites. La lutte des classes elle-même ne donnera pas le pouvoir au prolétariat, mais bien à ceux qui parlent en son nom, c'est-à-dire à une minorité, privilégiée comme toutes les élites. L'histoire est donc un « cimetière d'élites » ; c'est l'histoire d'une succession de minorités privilégiées qui se forment, luttent, arrivent au pouvoir et profitent de ce pouvoir, puis déclinent et sont remplacées par d'autres minorités. Vision cyclique, amère et tragique : l'histoire de l'homme est une série d'alternances indéfiniment répétées, de cycles de mutuelle dépendance, d'où le progrès, bien évidemment, est exclu.
Les choses étant ainsi, on peut s'interroger sur l'apport de Pareto à l'étude de l'action humaine. Néanmoins, il serait faux de l'enfermer sans autre considération dans la case du scientisme. Son accent est plus moderne : « Les actions tirent principalement leur origine d'un état psychique déterminé : sentiments, subconscient... » Cependant, parmi ceux qui reconnaissent une supériorité à l'irrationnel et ceux qui visent à la rationaliser, Pareto occupe une position particulière entre Nietzsche et Freud. Pour lui, il faut étudier l'irrationnel, non pas qu'on puisse l'assujettir, mais parce qu'il est le « sang » de l'homme. Voilà pourquoi ce pessimiste, malgré sa vision désolée, est – a-t-on dit de lui – l'antidote énergique à deux maux extrêmes, communs aux idéologues : l'intellectualisme politique qui renouvelle constamment l'illusion du succès d'une politique « éclairée », malgré les constants démentis qu'elle essuie, et la politique des chimères qui fait prendre à chacun ses désirs pour la réalité. En nous montrant comme nous sommes réellement, en nous faisant prendre conscience du système de relations sous-jacentes aux conduites humaines, en nous indiquant les modes par lesquels nous produisons les connaissances et notre être au monde, la sociologie de Pareto est une sociologie du pluralisme, du relativisme, de l'antitotalitarisme, de la société civile contre l'État.
Pareto est mort à Céligny, dans le canton de Genève, le 19 août 1923, dix mois après la prise du pouvoir en Italie par les fascistes. Au début de 1923, il n'avait pu accepter sa nomination comme sénateur du royaume d'Italie, car il venait de renoncer à la citoyenneté italienne pour acquérir celle de l'État libre de Fiume.
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Écrit par
- Giovanni BUSINO : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie
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