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VILLE DES ANGES (C. WOLF) Fiche de lecture

Christa Wolf, écrivain de la mémoire - crédits : Rainer Jensen/ EPA

Christa Wolf, écrivain de la mémoire

Répondant à l'invitation d'une fondation américaine, Christa Wolf arrivait à l'automne de 1992 à Los Angeles où elle devait séjourner plusieurs mois. Dix-huit ans plus tard parut en Allemagne le long récit Stadt der Engel oder the Overcoat of Dr Freud (Ville des anges ou the Overcoat of Dr Freud, trad. A. Lance et R. Lance-Otterbein, Seuil, 2012). Un titre programmatique qui s'inscrit dans la poétique de l'« authenticité subjective » telle que l'auteur l'a formulée dans son essai Lesen und Schreiben : « inventer en toute vérité sur la base de sa propre expérience ».

La narratrice, sur les traces des émigrés allemands des années 1930 et 1940, a traversé, avant sa venue en Californie, une grave crise identitaire. En prenant connaissance du dossier que la Stasi, l'ancienne police politique est-allemande, avait réuni sur sa personne, elle a été confrontée à un autre dossier, très mince celui-ci, qui la faisait passer de l'autre côté du miroir, du côté des informateurs. De tout ceci, la narratrice-auteur s'en est expliquée en son temps, par voie de presse et avec la publication intégrale des rapports communiqués à la Stasi pendant plusieurs mois à la fin des années 1950. « J'avais complètement oublié, écrit-elle dans son récit, je me rendais compte moi-même de l'invraisemblance de mes paroles... COMMENT DOIS-JE ÉVITER CELA ? ÉVITER DE CÉDER À UN DÉSIR OBSESSIONNEL DE ME JUSTIFIER ? CE QUI SERAIT LA FAÇON LA PLUS STUPIDE DE SE CONDUIRE. Chaque ligne que j'écris maintenant sera retenue contre moi. »

Le travail de la mémoire

Christa Wolf, violemment prise à partie après cette révélation, sait que ni les médias ni l'opinion publique ne voudront croire qu'elle – l'écrivain de la mémoire – a pu tout simplement oublier. D'où son questionnement, qui constitue l'un des fils rouges du récit : « Comment ai-je pu oublier ? » Comment fonctionnent la mémoire et l'oubli ? Oublier, est-ce refouler ? Comment assume-t-on la faute ? Dans Ville des anges comme dans les récits précédents de Christa Wolf, des moments de crise – ou de vie particulièrement intense – fournissent le cadre de la trame narrative dont la substance est celle de la vie même : les situations, les sentiments, les impressions donnent au temps qui passe sa consistance et à l'écriture sa force.

« Je me proposai de tout noter, chaque détail, pour plus tard », écrit la narratrice qui jour après jour va consigner les entretiens qu'elle mène à Los Angeles avec les autres résidents de la fondation, ainsi que les réflexions et les souvenirs qu'ils ont fait remonter dans sa conscience. Remarquables et émouvants sont l'authenticité des sentiments, la générosité et l'ouverture du texte. « Je ne voulais pas me ménager », écrit Christa Wolf – en relatant les attentes, les rêves, les erreurs et les idéaux d'une vie, qui croisent ceux d'un pays, la R.D.A., auquel elle est restée fidèle, même si l'espoir qu'elle avait mis en lui n'existe plus. Avec, en corollaire, cette question récurrente pendant plus de trente ans : Pourquoi rester ? « C'était en 1965. Croyions-nous encore à l'époque pouvoir, par nos discours et nos arguments, influencer le point de vue, sans parler des actes, de ceux qui nous gouvernaient ? La réalité, pensions-nous, serait pourtant un argument de poids, si seulement on en prenait conscience. L'union du pouvoir et de l'esprit, une illusion typique des intellectuels allemands. »

Dans une écriture qui procède par associations et rappelle au lecteur le fonctionnement de sa conscience et de sa propre mémoire, Christa Wolf laisse se dérouler les événements qui ont, les uns après les autres, sapé son enthousiasme et son espérance : le plenum du S.E.D. (Parti socialiste unifié, en R.D.A.)[...]

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

Classification

Média

Christa Wolf, écrivain de la mémoire - crédits : Rainer Jensen/ EPA

Christa Wolf, écrivain de la mémoire