VILLE La ville nouvelle
Toutes les villes ont eu un commencement et furent donc, à un moment donné, des villes « nouvelles ». Mais la naissance d'une ville est un événement généralement très ancien, inconnu ou oublié, et la ville n'est pas considérée comme le résultat d'un projet, mais comme le cadre complexe et permanent de projets successifs.
Le Moyen Âge européen fut la plus extraordinaire époque de création urbaine de toute l'histoire ; cent trente mille villes environ – plus petites que la Rome impériale, Constantinople ou Bagdad, mais dont la population varie entre 200 000 et 2 000 habitants – ont été conçues et réalisées, jamais selon un modèle unique, et même avec une diversité spectaculaire de tracés et d'aspects : Cologne, Gand, Bruges, Paris, Londres, Oxford, Milan, Venise, Bologne, Sienne, Pérouse, pour ne retenir que quelques exemples. Qui a inventé le S majestueux du Grand Canal de Venise, le tissu ovoïde de Bruges, le double éventail de Bologne ? Le caractère éloquent et significatif de ces organismes semble venir de leur capacité à développer de façon cohérente – bien que lentement, avec des instruments souples et variés – un germe initial modeste mais susceptible de prolongements multiples. En tout cas, cette évolution se termine entre le xiie et le xive siècle : l'Europe possède alors ses villes, qui sont celles où nous vivons encore. En marge de cet ample processus surgit le besoin de compléter le réseau urbain capillaire sur les campagnes européennes, de coloniser les territoires limitrophes (à l'est, au sud) et de créer à cette fin, délibérément et rapidement, un certain nombre de petites villes, de bourgades rurales, de places fortes.
Les « villes nouvelles », dont nous parlerons désormais comme de créations particulières, aux exigences techniques et culturelles spécifiques, sont précisément ces organismes urbains secondaires fondés ex novo, dans la pleine lumière de l'histoire ; leur forme déjà mûre n'est pas le fruit d'une évolution, elle a été imaginée en un projet ; leur caractère organique résulte d'un dessin qui a été tracé sur le papier avant de l'être sur le terrain.
Ce n'est qu'en tenant compte de ces circonstances historiques qu'on peut saisir le caractère spécifique et limité du problème des « villes nouvelles » dans l'ère européenne. La fondation de nouvelles villes étant une tâche exceptionnelle, il a fallu inventer une procédure exceptionnelle, que nous tenterons d'analyser.
Les villes nouvelles du Moyen Âge
À la fin du Moyen Âge, les deux faits qui concourent à susciter la création de villes nouvelles sont l'accélération de la croissance démographique et l'invention d'une nouvelle technique en matière de projet, technique internationale et applicable à n'importe quelle échelle.
Entre la fin du xie et le milieu du xive siècle, la population européenne s'accroît rapidement et l'économie prend un cours impétueux : aussi cherche-t-on de nouvelles terres de culture, tant à l'intérieur de l'Europe que sur ses confins ; les limites du monde chrétien reculent, les Arabes sont repoussés en Espagne et les Slaves dans les terres orientales ; les différents États se heurtent en d'incessantes guerres frontalières et doivent fortifier leurs territoires les plus exposés ; enfin, les Européens rivalisent victorieusement sur les mers avec les Vikings, les Arabes et les Byzantins, et prennent pied sur les côtes et dans les lieux d'abordage. Toutes ces raisons incitent à fonder de nouvelles villes, petites et soumises à l'autorité des grandes villes, plus anciennes.
Presque en même temps, à partir du milieu du xiie siècle, naît et se diffuse l'architecture gothique – opus francigenum – qui n'est pas seulement un nouveau style pour construire[...]
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Écrit par
- Leonardo BENEVOLO : architecte, ancien professeur d'histoire de l'architecture à l'université de Rome
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