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VILLE Mythe et représentation

Des travaux convergents ont démontré la rupture qu'établit le xviiie siècle dans la représentation de la ville, c'est-à-dire la manière de comprendre, d'analyser, d'imaginer et donc de modeler le phénomène urbain. Jusque-là, la ville apparaissait, du moins dans la plus grande partie de l'Europe, comme une entité autonome, bien circonscrite dans ses murailles (protection, limite juridique et fiscale, mais plus encore représentation symbolique du statut, des droits et privilèges qui lui sont reconnus), définie par sa culture, trouvant en quelque sorte dans les valeurs d'urbanité qu'elle réunissait sa propre justification. La Renaissance et le rappel de l'Antiquité avaient renforcé ce dernier aspect. Or, dans les écrits du xviiie siècle finissant, la ville est considérée davantage comme un moyen, lieu d'exercice de fonctions : elle est subordonnée, dans son principe comme dans les règles de son organisation interne, aux exigences naissantes de cette rationalité. Cette conception nouvelle se nourrit de la dilution des anciennes certitudes : la critique de la ville, lieu du luxe, de l'artifice, de l'inégalité, est au cœur de la philosophie des Lumières. Cette rupture n'est pas simple épisode, mais introduit pour longtemps et jusqu'au temps présent une thématique, un regard sur la société, un discours et des pratiques d'intervention. L' urbanisme, à défaut du mot, s'ébauche en tant que discipline dans les discussions du xviiie siècle, qui vont de l'interrogation classique sur les agencements matériels, à celles, plus nouvelles, sur la croissance, l'optimum de population, la répartition territoriale des activités, les équipements. À travers la ville se développe ainsi la réflexion sur les changements sociaux. La ville devient mythe, héros collectif et personnifié des bouleversements du xixe siècle, des peurs et des espérances.

Pourquoi donc le xviiie siècle ? L'image d'une longue prospérité, portant en elle la transformation de l'économie, de la société, des idées, est aujourd'hui sérieusement corrigée selon le temps et selon les lieux, qu'il s'agisse d'accroissement démographique, de mouvement d'affaires, de pénétration des campagnes par le commerce. L'industrialisation naissante, si elle entretient les profits urbains, choisit de préférence ses sites hors des limites de la ville. Les cités qui continuent à se gonfler (hors mesure, disent les contemporains) sont les capitales, Londres, Paris en tête. Mais l'État national est loin de se constituer partout avec la même force ; bien des « capitales » de l'Europe des princes restent de médiocres cités provinciales, même si elles se parent des prestiges de l'art. Rien dans l'économie ou le mouvement des populations ne fournit l'évidence d'une rupture générale.

Diversité et convergence des points de vue

La réalité est donc déformée, amplifiée, plus ou moins arbitrairement, par le regard. Loin d'être le reflet tardif de révolutions économiques, les représentations de la ville s'élaborent parallèlement à la diffusion du capitalisme marchand et aux progrès de l'administration. Le caractère novateur du xviiie siècle vient d'abord de la multiplicité des points de vue portés sur la ville : débat qui engage assurément les acteurs et les commentateurs sociaux, jusqu'à la polémique. Mais la diversité des points de vue a une autre origine : la ville, jusque-là sujet de réflexion pour la philosophie de l'art, entre dans le champ d'un savoir plus fractionné, celui des techniques et des professions.

Hygiénistes

L'intervention des médecins apparaît d'abord comme un retour à la tradition. Perdus dans les polémiques autour de l'idée de contagion, les médecins reportent leur attention sur l'action[...]

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  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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